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NOTICE

dans sa galerie des « grotesques » manque le portrait de l’un des plus étonnants personnages et de l’un des plus vrais poètes de cette époque de Louis XIII si féconde en tempéraments originaux : Tristan l’Hermite (1601-1655).

Né dans la Marche, au vieux château de Soliers, où ses ancêtres, bravant la justice du roi, avaient mené une vie de gentilhommes rançonneurs et pillards, il eut lui-même une vie pleine d’aventures, dont son roman autobiographique, le Page disgracié, nous conte les premières années. À six ans, Henri IV le donne pour page à son bâtard Henri de Bourbon. À quinze ans, ayant dû fuir, à la suite d’une rixe où il y a eu mort d’homme, il est précepteur en Angleterre, se fait aimer de sa jeune élève, est mis en prison, s’évade, passe en Écosse, puis en Norvège, où il vend « des martres zibelines, des hermines et autres belles fourrures, » revient à Londres, rentre en France, perd au jeu l’argent qu’il a rapporté, songe à se rendre à pied en Espagne pour chercher fortune, rencontre en route, à Loudun, le vieux poète Scévole de Sainte-Marthe, un survivant de la Pléiade, qui le prend pour lecteur, enfin, après bien d’autres traverses, il est présenté à Louis XIII et rentre en grâce.

En 1636, quelques mois avant le Cid, il donne sa tragédie de Marianne, qui balancera le succès du Cid, et qui sera suivie de plusieurs autres, les seules dignes, avec celles de Rotrou, d’être lues et admirées parmi l’immense production dramatique des contemporains de Corneille. Le poète lyrique n’est pas inférieur au poète de théâtre. Dans ses Amours et dans Vers Héroïques, il y a autant à retenir que dans l’œuvre de Saint-Amand ou de Théophile ; et la Solitude de ce dernier est surpassée encore par ce Promenoir des deux Amants où Tristan a repris le thème éternel : l’invitation à l’Amour dans le mystère des bois et du silence. Si l’on en retranche, comme nous le ferons, les dernières strophes, gâtées par des traits d’une maniérisme déplorable, il reste un poème enchanté, doué de ce magique pouvoir de suggestion qui est l’essence même du génie lyrique.

Quand Tristan l’Hermite sera mort, — pauvre et phtisique mais consolé par la religion, et après avoir écrit des sonnets chrétiens non moins beaux que ses chansons amoureuses, — il ne restera plus guère à Paris de ces