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NOTICE

de courage, et si bon ouvrier de vers qu’il est capable de composer, par indignation, l’épitaphe vraiment lapidaire du célèbre janséniste Antoine Arnaud persécuté, chassé, mort en exil. Et il a mérité d’écrire, sans crainte qu’on le lui rappelle jamais dans un blâme, cet alexandrin qui peut servir encore de pierre de touche pour éprouver la véritable et la fausse monnaie de poésie :


Le vers se sent toujours des bassesses du cœur.


Malheureusement, ce n’est pas seulement de la bassesse, mais aussi de la sécheresse du cœur que le vers se ressent toujours ; et tel est le cas des vers de Boileau. Il a encore moins de sensibilité devant la nature que son héros Malherbe : dans un seul de ses vers on voit apparaître un arbre, le noyer de son jardin d’Auteuil ; mais c’est pour nous dire qu’il est « du passant insulté, » autrement dit, que les gamins y jettent des cailloux : sentiment non de poète mais de propriétaire. Quant aux femmes, sauf deux gracieux couplets « pour mettre en chant, » elles ne lui ont jamais inspiré que la Satire X, merveille de style mais féroce réquisitoire contre le sexe, effroyable galerie de portraits où il n’y a que des Mégères et des Xantippes, des Brinvilliers et des Messalines.

Pouvait-on demander à un pareil homme de comprendre Ronsard et La Fontaine, et surtout de faire des vers lyriques ? Il en fit pourtant, une fois, et ce fut pour la revanche des Muses offensées, car il écrivit alors cette Ode sur la Prise de Namur qui serait la chose la plus ridicule du monde si l’auteur ne l’avait point fait précéder d’un Discours dont le comique involontaire est encore supérieur à celui de l’Ode.

On y lit : « Comme il n’est pas possible de leur faire voir (aux lecteurs ignorant le grec) Pindare dans Pindare même, j’ai cru que je ne pourrais justifier ce grand poète qu’en tâchant de faire une ode en français à sa manière, c’est-à-dire pleine de mouvements et de transports, où l’esprit parût plus entraîné du démon de la poésie que guidé par la raison… J’y ai jeté, autant que j’ai pu, la magnificence des mots ; et à l’exemple des anciens poètes dithyrambiques, j’y ai employé les figures les plus audacieuses… Je ne sais si le public, accoutumé aux sages emportements de Malherbe, s’accommodera de ces saillies et