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NOTICE

camp de Boulogne, quand le Premier Consul distribua des étoiles de la Légion d’Honneur aux braves de la Grande Armée.

Marie-Joseph, dernier enfant de Louis Chénier et de la belle grecque Santi Lhomaca sa femme, était né en 1764, deux ans après son frère André. Nous n’avons point à parler ici du poète tragique, dont les œuvres déclamatoires, plus pleines des passions du moment que des passions éternelles, devaient, pour cette raison, être applaudies alors et, ensuite, oubliées. Sur l’homme politique, jusqu’en 1794, nous avons dit l’essentiel dans la Notice du volume consacré aux Chefs-d’Œuvre lyriques d’André Chénier, de la présente collection ; l’on voudra bien s’y reporter pour juger impartialement sa conduite, dont les fautes furent compensées par plus d’une preuve d’un dangereux courage, et trop cruellement expiées par l’abominable calomnie qui l’accusa d’avoir causé la mort de son frère, calomnie à laquelle, en si nobles vers, il saura répondre.

Le poète lyrique, seul, nous appartient ici, et son rôle, pendant toute la Révolution, fut considérable. Si le mouvement qui commence en 1789, à l’ouverture des États-Généraux, a tous les caractères d’un mouvement religieux, dans le sens le plus large du mot, par sa soudaineté, son universalité, son enthousiasme, son délire de foi et d’espérance, — en attendant qu’il ait son fanatisme de ses crimes, — on peut dire que Marie-Joseph Chénier sera le poète liturgique de cette religion nouvelle. Car cette religion — patriotique, civique, et déiste, selon le Contrat Social et la Profession de Foi du Vicaire Savoyard, — comme elle aura ses temples et ses fêtes, aura sa liturgie. Chénier, sans parler du Chant du Départ, y contribuera d’abord par son Chant du 14 Juillet, composé pour la première fête de la Fédération, puis par des hymnes à l’Égalité, à la Liberté, à la Raison, le plus souvent abstraits et froids comme leur titre, composés dans cette langue décolorée que lui ont transmise tant de générations de poètes anti-lyriques. Parfois aussi, l’inspiration le soulève, et il monte avec une majesté un peu tendue, émouvante quand même. Ainsi en est-il dans l’Hymne à l’Être Suprême, qu’il n’a pu refuser à Robespierre, mais où la divinité, « témoin du crime heureux, besoin de