Page:Malherbe - Les Larmes de Saint-Pierre, 1596.pdf/19

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   Mais ô de tant de biens indigne recompenſe !
Ô deßus les ſablons inutile ſemence !
Vne peur ô Seigneur m’a ſeparé de toy :
Et d’vne ame ſemblable à la mienne pariure
Tous ceux qui furent tiens, s’ils ne t’ont fait iniure,
Ont laiſſé ta preſence, & t’ont manqué de foy.

   De douze, deux fois cinq eſtonnez de courage
Par vne laſche fuitte euiterent l’orage,
Et tournerent le dos quand tu fus aſſailly :
L’autre qui fut gaigné d’vne ſalle auarice,
Fit vn prix de ta vie à l’iniuſte ſupplice
Et l’autre en te niant plus que tous a failly.

   C’eſt choſe à mon eſprit impoßible à comprendre,
Et nul autre que toy ne me la peut apprendre,
Comme à peu ta bonté nos outrages ſouffrir,
Et qu’attend plus de nous ta longue patience,
Sinon qu’a l’homme ingrat, la ſeule conſcience
Doiue eſtre le couteau qui le face mourir ?

   Toutesfois tu ſcais tout, tu connois qui nous ſõmes
Tu vois quelle inconſtance accompagne les hommes,
Faciles à flechir quand il faut endurer :
Si i’ay fait comme vn homme en faiſant vne offẽce,
Tu feras comme Dieu d’en laißer la vengeance,
Et m’oſter vn ſuget de me deſeſperer.