Page:Mallarmé - Œuvres complètes, 1951.djvu/1055

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suffira-t-il de reprendre avec moi tous les Vocables, arbitrairement éparpillés dans le Dictionnaire et d’en reformer des groupes régis par leur nationalité : dépareillés, plusieurs ne se rapatrieraient pas. L’Anglais, en effet, a agi à cet égard avec la contradiction singulière qu’il a partout montrée. Strict, il se plaît, comme épris lui-même de ce qu’on nomme la couleur locale, à respecter l’allure lointaine des sons, les traduisant par une orthographe ingénieuse et juste; ou bien prêt à renoncer à pareil effort avant que de l’avoir tenté, il défigure du tout au tout sa conquête et en fait chose à soi : double procédé dont les résultats présentent un égal intérêt. Surgit même un troisième cas, qu’il convient d’observer très particulièrement; c’est de lui que fort souvent dépendra, dans les Tables à dresser, l’admission ou le rejet d’un terme, suivant qu’il est pour nous, Français, neuf ou familier. Impossible, en effet, de prolonger (au cours de plus de pages peut-être que n’en ont pris les Mots Anglo-Saxons, les Modernes et Vieux Français ou ceux mêmes rapportés tout à l’heure à l’antiquité) des colonnes de Vocables toutes étranges autant qu’étrangères. Oui, sûrement et insensiblement, il s’est, pendant et depuis la formation des Langues Contemporaines, Néo-latines comme l’Italien, l’Espagnol et le Portugais, Germaniques comme l’Allemand, Slaves comme le Russe, répandu en chacune d’entr’elles un certain bataillon de Mots, issu d’ici et de là, les mêmes presque partout. La langue neutre, par excellence, c’est le Français; et rien de plus rare que de voir un de ces Mots Nomades qui n’ait pas abouti chez nous d’abord et aussi n’y soit pas francisé, puisque le génie particulier d’ici exige une atténuation de toute couleur trop vive et des bariolages ; l’Académie n’admettant leur éclat qu’éteint et changé par une opération presque séculaire. Abandonnés souvent même par nous, ils ne reprennent leur course autre part que d’abord travaillés de la façon que je viens de dire : on ne les a. dans ce cas, au dehors que de seconde main. Toujours alors se passe de deux choses l’une, spéciale à l’Anglais : ou bien il les accepte tels quels, et rien n’exige que vous les notiez; ou bien il les repeint quelque peu et tout à fait, sur le modèle d’originaux demeurés dans son répertoire, et c’est de mon devoir de les citer. Voilà. Une observation encore et une remarque cependant : l’observation, importante pour quiconque veut comprendre un détail dans l’économie du présent paragraphe concerne les rapports de l’Anglais et de l’Allemand; la remarque, brève, dira que, de tous les Européens, les Russes, apprenant chaque langue, mais ne lui prêtant point, laissent le moins de traces dans l’Anglais comme dans le Français. A plus