Page:Mallarmé - Œuvres complètes, 1951.djvu/1190

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si l’on voyait des tables généalogiques montrer la liberté avec laquelle plusieurs États grecs ou des villes traitaient leur fonds commun de contes légendaires ; car ce que j’appellerai la « vitalité mythique », demeura encore quelque temps après que les Aryas furent fixés en leurs terres helléniques. Mainte table, facile à faire d'après les auteurs, présente les mêmes noms dans des rapports tout à fait différents; impossible de les faire s’accorder historiquement, mais ils s’accordent strictement avec les phrases mythiques qui furent les racines de ces généalogies : où dieux, héros, hommes sont inextricablement mêlés. N’imitons pas, nous, ces efforts postérieurs, mais apprenons maint symbole. Nous devons tout regarder ici comme des contes parfaitement beaux et inoffensifs, graduellement défigurés en dehors de la volonté ou même de la conscience des interpolateurs. Bien entendu — c'est le détail le plus important à tirer de la digression ouverte par les quelques réflexions présentes -— que les peuples anciens ne s'appliquèrent en rien à disposer leurs dieux ou leurs héros en groupes et en classes. L’ordre dans lequel on range quelquefois ces mythes est l’œuvre d’un âge très postérieur; et cet ordre, si nous y arrêtons notre esprit nuira plus qu’il ne servira à l'effort fait par nous pour comprendre les légendes*. Cette science intéressante, la Mythologie, nous montre que les ancêtres des Germains ou des Norvégiens, des peuples latins ou des Grecs, subissaient, tous, les mêmes impressions, les mêmes espoirs et les mêmes craintes que nous aujourd’hui, malgré des différences inévitables; et, somme toute, telle qu’elle était, chacune était belle et vraie. Au fond, je les vois, ces pensées, les mêmes qui inspirent le langage des poètes de tous les temps et de tous les pays. Oui, maintenant comme autrefois, les poètes ne font autre chose qu’attribuer la vie à ce qu’ils voient et à ce qu’ils entendent autour d’eux. Qu’importe l’image elle-même ? Tout au moins elle revêt, dans l’étude des mythes du passé, un charme historique qui est à la fois curieux et touchant. Qu’est le Soleil? Un fiancé qui sort de sa chambre ou un héros qui se réjouit de parcourir sa route. Telle est l'idée qui fait le fond des légendes d’Héraclès, de Persée, de Thésée, d’Achille et de Bellérophon, et de beaucoup d’autres; et tous les hommes d’à présent dont le cœur ou l’esprit sont ouverts à la beauté du ciel et de la terre, sentiront la séduction, spéciale et permanente à la fois, que comporte la Fable. Passons maintenant à un point de vue très différent et qu’il ne faut pas négliger. Grave question, la Mythologie est-elle la religion des anciens ? Oui : en tant qu’une religion peut ne pas fournir certaines impressions religieuses nécessaires et que seront obligés de puiser autre part ses adeptes,

  • Extrait d’une Préface de Cox.