Page:Mallarmé - Œuvres complètes, 1951.djvu/1307

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se laissa choir, avec un faible cri, sur son lit et perdit pour un temps dans l’inconscience le sentiment de sa misère. Quand elle reprit ses sens, elle était non seulement aveugle tout à fait, mais les yeux lui cuisaient, comme pleins d’un sable brûlant. Si elle les avait eus seulement baignés de quelque lotion calmante, qu’elle eût été reconnaissante! — Pourquoi était-on si long à venir ? Trouverait-elle la sonnette ? elle se le demandait; et, soulevant de l'oreiller sa pauvre tête endolorie, elle étendit les mains, pour saisir le meuble le plus près; puis trouvant ainsi sa route d’un objet à l’autre, atteignit la porte, l’ouvrit et se tint à écouter, prête à appeler la première personne qu’elle entendrait. Juste à ce moment, son second frère, Georges, un beau garçon turbulent de dix ans, se précipita du parc dans la maison. — « Oh ! Georges, est-ce vous? » interrogea vivement Blanche; « venez, venez à moi. » — «Je ne peux pas! » cria le Prince, bondissant sur l’escalier, tout en répondant. — « Oh! que c’est méchant! » exclama-t-elle, frappant du pied dans l’impatience de sa colère : des larmes roulèrent sur ses joues, alors qu’cllc sentit tout l’abandon de son état. — « Méchant ? » rit Georges moqueur, maintenant presque en haut dès marches; « j’aimerais savoir si vous venez jamais, quand ce n’est pas pour votre plaisir. René court après moi. » A ce moment il atteignit le palier de sa chambre, et était trop loin pour entendre. Blanche demeura, ayant peur de s’écarter de la porte d’un seul pas, et de se heurter ainsi à quelque chose : elle attendait aussi que passât son autre frère René. Ce ne fut pas long. Georges disparaissait à peine qu’arriva René courant aussi, visiblement impatient d’attraper son frère. — « René, cher, venez, venez sonner pour moi! » La Princesse cria désespérément, pensant que si elle pouvait lui faire entendre quel mince service elle réclamait de lui, il y prêterait une oreille plus favorable; mais l’adolescent répondit, un instant arrêté sur les marches et se penchant au-dessus de la rampe : « Impossible, ma chère sœur. C’est trop joli! vous faites vraiment bien peu pour vous-même, comme pour tout autre ! » — « Je suis aveugle! » cria-t-elle d’une voix perçante. — « C’est une plaisanterie », fit René avec un rire, tout en continuant son ascension; et tournant de nouveau la tête de son côté : « Mais vous ne supposez point que j’y croie! » Ce disant, il joua des jambes, redoublant de vitesse, le long du corridor de l’étage supérieur. Blanche pleurait tout haut de rage impuissante et de douleur. Aussitôt une des filles à son service accourut vers elle, s’écriant : « Oh! ma précieuse Princesse, qu’est-il arrivé pour que vous vous chagriniez ainsi ? que puis-je faire ? »