Page:Mallarmé - Œuvres complètes, 1951.djvu/1314

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danger est passé. Ton ennemi est loin derrière et tu peux respirer un moment et te reposer. Regarde, pour te convaincre, tout autour de toi. » Sur le point de tourner la tête, obéissant à une impulsion naturelle, soudain il se rappela l’avertissement de la Nymphe; et, en dépit de son inclination à faire le contraire, regarda fermement devant lui, puis s’élança à grands pas, résolu à ne se laisser, par aucune parole, induire en une fausse sécurité. Les yeux toujours en avant, il découvrit enfin, dans cette fixité joyeuse de son regard, les tourelles du sombre portail qui devait lui rendre la liberté. Avec de nouvelles forces-il bondit au but. La distance cependant était bien plus grande qu’il ne lui avait semblé. Il crut étouffer, à cause de la poussière pareille à du sable chaud; et languissait fort après une gorgée d’eau, bonne à rafraîchir sa gorge sèche et à étancher sa soif. Pas de fleuve ni même de ruisseau, de sources ni de fontaines à rencontrer sur ce sol nu s’étendant à perte de vue; et il fallait toujours aller, il fallait continuer, sans se désaltérer, cette pénible route ; quand, ô surprise ! une coupe d’or lui fut présentée par des mains invisibles, pleine d’un liquide rouge et effervescent, qui parut d’une tentation irrésistible au héros consumé... Tenant à pleines mains la coupe bienvenue, il l’élevait ardemment à ses lèvres, mais il crut entendre un petit cri pareil à celui du dragonneau blessé; et une douce voix sembla lui dire : « Ne bois pas; ici tout est poison! » René jeta sur le sol la coupe séductrice, et fit en hâte une enjambée nouvelle, tout reconnaissant envers la petite voix qui l’avait à temps sauvé du piège; mais il eut bientôt conscience de pas précipités, qui s’efforçaient de l’atteindre. Le jeune homme, sentant d’instinct que le but du Génie était d’intercepter la course qu’il menait dans la direction de la porte.dès ce moment en vue, augmenta de vitesse, regrettant amèrement sa pause d’une minute : mais il était trop tard. Son adversaire mit sur lui les mains, avant qu’il atteignît la muraille désirée : il ne lui restait plus rien à faire que d’affronter la lutte, ce qu’il tenta hardiment, sans peur aucune, combattant corps à corps et s’efforçant d’échapper à l’étreinte. Ce Roi de l’ombre essaya de lui jeter quelque chose aux yeux pour l’aveugler, et René sentit qu’il le fallait vaincre immédiatement, sinon, que tout pouvoir de se défendre l’abandonnerait. Se souvenant que son costume était enchanté, il en arrache la ceinture et en frappe le Génie, l’abattant sur le sol où le monstre gît à sa merci. Lui plantant le pied sur la poitrine, le Prince demanda la restitution du mouchoir enchanté. D’une voix éperdue, mais encore rebelle, le Géant