Page:Mallarmé - Œuvres complètes, 1951.djvu/1315

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

répondit : « Tu m’as vaincu, et je suis contraint d’obéir. A cette heure même s’ouvre la porte pour te donner issue. Prends donc le mouchoir de ta sœur et va-t’en. » Le Prince se saisit du talisman avec rapidité, et, s’élançant légèrement par la porte ouverte, plongea de nouveau dans la mer. Sans traverser d’accidents ni rencontrer d’aventures dans sa course, il atteignit le rivage natal, et remit aussitôt le mouchoir aux mains de la vieille. Vous pouvez vous imaginer le ravissement de Blanche en recouvrant le précieux objet, et comment fut à son retour fêté et loué le brave jeune Prince. Il y eut de grandes illuminations en son honneur, et tout le peuple de Terre-Libre se réjouit de l’avoir un jour pour roi. La famille royale, peu de temps après, se rendit à une résidence de campagne sur les frontières de Terre-Juste. Un jour, les enfants s'en furent tous pêcher au bord d’un courant à truites, lequel passait par les bois de la couronne. Blanche était assise bien en sûreté sur un talus gazonné, tandis que ses frères s’éparpillaient de côté et d’autre; et elle souhaitait de voir clair, afin de lire et que le temps lui fût moins lourd, quand elle entendit un élan soudain par les arbres, et quelque chose tomber pesamment à terre, en gémissant. Alarmée, elle tourna la tête du côté d’où venait le bruit, mais put à peine ouïr si ces plaintes partaient d’un animal ou de l’un de ses semblables. Si c’était d’un homme, qu’elles étaient terribles! Peut-être pouvait-elle porter secours; elle le devait tenter, malgré sa cécité. Aussi, elle se dressa et, en dépit des ronces et des églantiers qui interceptaient sa marche, guidée par les gémissements, elle se fraya un chemin, là où gisait un adolescent évidemment blessé. « Qui êtes-vous ? Qu’y a-t-il ? Puis-je vous venir en aide ? >1 demanda-t-elle, dans sa tremblante ardeur et lui passant les mains sur le visage. — « Etanchez cette blessure, ou je meurs ! » répondit le jeune homme, les yeux à demi fermés de douleur. La Princesse s’agenouilla près de lui, et dit : « Guidez ma main vers votre blessure, car je suis aveugle », et, arrachant en même temps de ses yeux le bandeau magique, elle posait sur sa blessure la main qu’il guidait. Or, loin de sentir la cuisante douleur fondre sur ses yeux, les voici qui s’ouvrirent, aussitôt, avec leur vue retrouvée. Elle était enfin arrivée à chasser complètement tout reste d’égoïsme ainsi que souhaitait la Fée Bonté, préférant jusqu’à souffrir elle-même plutôt que de refuser aide à son prochain dans un besoin cruel. Le premier usage qu’elle lit de ses yeux fut de regarder le jeune homme blessé là devant elle; et elle remarqua qu’il avait un beau visage ouvert et qu’il était richement vêtu d’un costume de prince. Les yeux étaient encore mi-clos, mais