Page:Mallarmé - Œuvres complètes, 1951.djvu/1326

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notre couple, ô Reine des Fées... Il marcha vaillamment devant soi, Catherine bâtissant tout le temps les plus jolis châteaux en l’air, et leur donnant pour fondations cet heureux début, et Thomas ravi d’écouter son joyeux babil qui leur faisait paraître la route moins fatigante. Enfin, ils arrivèrent au quartier fashionable, où ils devaient se quitter, et nous de même. Tempérance allant avec Tom, Espoir et moi suivant la femme. La malheureuse eut peu de succès jusqu’à la tombée de la nuit, car il y avait beaucoup de mendiants de profession qui comprenaient mieux qu’elle l’art de toucher le cœur des passants ou de les ennuyer jusqu’à ce qu’ils se fissent donner; si bien qu’à l’humble requête de Catherine : « Bonne dame, pouvez-vous me venir en aide ? » on passait ordinairement sans prendre garde, et, dans les rares cas où elle captivait l’attention, chacun préférait lui jeter quelques sous à s’enquérir de la vérité de ses paroles. C’est pourquoi, abattue par son échec, elle se porta à la rencontre,.de son mari, qu’elle vit marcher à elle, lent et accablé. -— « Eh bien, Tom ? » s’enquit-elle, trop lasse pour mettre en plus de mots ce qu’elle voulait lui dire. — « Ah! ma fille, répondit-il, avec humeur, c’est dur de mendier! Les femmes avaient peur de moi, et les hommes aussi paraissaient croire que je voulais les voler, tant ils passaient vite, me mettant quelquefois leur billon dans la main. Si j’essayais d’en suivre un et de dire : « Oh! Monsieur, je ne demande pas l’aumône, mais de l’ouvrage, de l’aide pour trouver de l’ouvrage », — le Monsieur répondait toujours : « Je n’ai pas le temps d’écouter votre récit, mais, si vous êtes méritant, il y a nombre de sociétés charitables qui vous aideront. » — Et il n’en voulait pas entendre davantage. Mais vous, n’avez-vous pas mieux réussi ? » — « Non », répondit tristement Catherine; « mais il a fait une si vilaine journée! les gens n’aiment pas qu’on les ennuie... Volontiers je croirais que, si le soleil avait brillé, ils se seraient sentis plus disposés à écouter. — Que je suis fatiguée! » Elle poussa involontairement cette exclamation au moment même où ils approchaient d’un lieu splendidement éclairé, appelé le Palais de la Boisson. — « Ah! nous ferions bien d’entrer là », dit Thomas; « voilà le seul gîte où l’on peut avoir chaud; quant à l’endroit où il nous faudra dormir cette nuit, je suis bien sûr d’une chose, c’est de l’ignorer. » « Catherine grelottait, mais l’idée de franchir le seuil du palais lui faisait horreur : « Il paraît très brillant », dit-elle; « mais, vous le savez comme moi, Tom, conduit à la ruine. Éloignons-nous de la tentation. » Elle venait à peine de parler, qu’un homme, qu’ils n’avaient point remarqué, mais qui s’était mis à les observer, vint droit à eux et leur dit :