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Page:Mallarmé - Œuvres complètes, 1951.djvu/1331

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dans son miroir splendide les feux des pierreries qui forment la cavité. Assises dans une des niches, elles aperçoivent les Fées Amour et Justice, au cours d’un entretien animé. Aussitôt que paraît leur Souveraine, toutes deux se lèvent pour la saluer : elle, demandant en riant si 7 erre-Juste est toujours le thème de leur discours, et les priant de demeurer : « Blanche, ajoute-t-elle, est très curieuse d’entendre parler de ce pays et aussi de son grand héros Henri le Noble. » La Fée Justice débute donc sans se faire prier : « Je ne veux point vous fatiguer de l’histoire entière de mon favori. Je vous dirai, seulement, pour commencer, qu’il s’éleva, de la position relativement obscure de fils d’un pauvre gentilhomme, jusqu’à remplir le poste important de Premier Ministre, ami du Roi. « Les plus grands honneurs lui échurent; et il eut le respect meme de ses adversaires, car jamais homme plus vaillant que lui ne combattit et ne souffrit pour sa cause. Non que ce fût un soldat : ses batailles étaient toutes morales, ne mettant enjeu que sa force de volonté. L’élévation de son dessein et sa persévérance en firent, seules, un vainqueur. Il ne voyait en lui-même rien d’autre qu’un instrument à faire le bien de son pays, aux intérêts duquel sa conscience le vouait loyalement; il fut toujours prêt à lui sacrifier sa vie. Fervent et résolu, cet homme d’esprit noble réalisa les réformes qu’il avait chéries depuis sa jeunesse, en dépit des obstacles sans nombre et des difficultés qui assaillaient ses pas. Ferme et sans peur, aucun adversaire ne pouvait abattre son ardeur de vrai patriote, et, si par hasard un sentiment de lassitude l’envahissait à de certaines heures, quand tout le monde paraissait s’entendre pour le contrecarrer, sa douce petite femme, l’enfantine amie de ses jeunes ans, Rubis Confort, était toujours prête à l’égayer et à le consoler. Quand le peuple et les grands et le Roi eussent manqué de foi en lui, elle lui aurait gardé la sienne. Aussi travailla-t-il, lutta-t-il, courageusement, gaîment, jusqu’à la victoire; et, lorsque le bon sens des gens les porta plus tard à reconnaître le bien qu’il avait fait, tous mirent leur plaisir à l’honorer, le premier après le Roi, qui l’aimait comme un frère. Je vais vous dire une des aventures qu’il affronta, à cause des réformes qu’il voulait introduire. Les Géants, ses ennemis particuliers, chefs et instigateurs des grèves, complotaient entre eux de l’enlever et de le tuer, à moins qu’il ne consentît à adopter leurs principes. Les voici donc à l’œuvre, en train de dresser un piège pour le prendre. Un d’eux, le Seigneur Double-Face, avait une physionomie d’assez bel air si on ne le voyait que d’un côté : il conçut le dessein de servir lui-même d’amorce. « Donc, par une piquante nuit de mars, Henri quitta le