Page:Mallarmé - Œuvres complètes, 1951.djvu/1342

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et, aussitôt le pied posé sur le rivage, 011 remit les Géants aux mains de Justice, pendant qu’Henri s’en retournait à la maison, avec l’espoir d'y retrouver Rubis, rendue à sa forme naturelle. A peine était-il de retour dans leur chambre à tous deux, qu’il entendit le bruit d’un léger vol à scs côtés, comme si le vent s’y jouait. Il regarda, vit sa chère femme et la prit dans ses bras. Oh! comme il la serra contre son cœur pour tant de courage et de patience ! Mais elle dit qu’il fallait en attribuer tout l’éloge à la Fée Amour. « Exilés, les Géants trouvèrent un refuge dans Terre-Libre, et le roi Beaujeu et Fleuriot se mirent à l’œuvre pour établir un gouvernement parfait. De brillants cafés spacieux firent mieux qu’égaler en attractions les terribles Palais de la Boisson. Au lieu de tavernes, il y eut force clubs de pauvres gens, avec salles pour fumer et lire ; on y servait aux pauvres, comme rafraîchissements, toutes les boissons saines qu’ils demandaient, et cela à des prix fixes et modérés. Il y avait des inspecteurs du travail pour voir comment le peuple gagnait sa vie; on fit un tarif des salaires et aussi de la nourriture, ce qui mit fin aux grèves. Il y eut de nombreuses maisons d’aumône pour les pauvres méritants, qui, soit à cause de leur âge, soit par suite d’une maladie, étaient incapables de subvenir à leur propre existence, et de ces endroits on fit d’agréables séjours. Plus de Workhouses ou Refuges de la Misère; à la place, c’étaient des maisons d’assistance, Aidhouses, où quiconque était dans le besoin pouvait se faire admettre et soigner, sans qu’on lui permît de partir avant une enquête faite sur son cas, pour savoir s’il se trouvait être méritant. Manquant d’ouvrage et inhabile à en trouver, on gardait ce malheureux momentané jusqu’à ce qu’une occupation lui fût procurée; il travaillait, en attendant, de son métier spécial, au bénéfice de l’établissement. Tout ce qui était nécessaire pour leur venir en aide dans la vie, cette institution le fournissait aux indigents, outils, vêtements, argent même, qu’ils avaient à rendre le jour où ils le pouvaient. Ceux qui se montraient paresseux, vagabonds, on les envoyait en prison, et, dans Terre-Juste, c’était un lieu sombre et terrible où l’on était si mal à l’aise, que rarement des prisonniers y revenaient une autre fois. On leur imposait un labeur si dur qu’ils préféraient par la suite travailler et gagner de l’argent pour eux à travailler pour une prison. — On traitait très-sévèrement l’ivrognerie; la période d’emprisonnement était plus longue chaque fois que revenait le coupable, et, si c’était un ivrogne avéré, on le tenait enfermé quelquefois pendant des années, considéré comme lunatique, individu dangereux et irresponsable; ne sortant qu’accidentellement, toujours surveillé et remis tout de suite en prison s’il ne pouvait rester