Page:Mallarmé - Œuvres complètes, 1951.djvu/1573

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ments lyriques de l’âme, aux ondulations de la rêverie, aux soubresauts de la conscience ? » 11 ne le fut certainement pas à l’indication que donnait cette même « dédicace » : « C’est en feuilletant, pour la vingtième fois au moins, le fameux Gaspard de la Nuit d’Aloysius Bertrand (un livre connu de vous, de moi et de quelques-uns de nos amis n’a-t-il pas tous les droits à être appelé fameux ?) que l’idée m’est venue de tenter quelque chose d’analogue, et d’appliquer à la description de la vie moderne, ou plutôt d’une vie moderne et plus abstraite, le procédé qu’il avait appliqué à la peinture de la vie ancienne, si étrangement pittoresque. » Nous savons, en effet, par des lettres de Mallarmé à Victor Pavie, le premier éditeur de Gaspard de la Nuit, qu’il fit, un temps, sa lecture fréquente de ce livre. Le 50 décembre 1865, il lui écrivait : « J’ai comme tous les poètes de notre jeune génération, nos amis, un culte profond pour l’œuvre exquis de Louis Bertrand de qui vous avez eu la rare gloire d’être l’ami. Exilé, pour un temps, dans une petite ville de province, je souffre beaucoup de voir ma bibliothèque, qui renferme les merveilles du Romantisme, privée de cc cher volume qui ne m’abandonnait pas quand je pouvais l’emprunter à un confrère. » (Cité dans Aloysius Bertrand par J.-Charles Pavie, Revue de Paris, 1$ août 1911.) A cette époque, exilé depuis près de deux ans à Tournon, il faisait allusion évidemment à une période de sa vie qui avait précédé cet exil, c’est-à-dirc aux années 1862-1863, so*t qu’à Sens il eût emprunté ce Gaspard de la Nuit dès 1842 à Emmanuel des Essarts ; à Paris, à Henri Cazalis ; à Londres même, à ce chevalier du Châtelain curieux de poésie dans l’une et l’autre langue, et avec lequel nous savons qu’il se lia. Et lorsque, dans la Revue des Lettres et des Arts où, en 1867, Villiers de l’Isle-Adam publiait cinq des Pages oubliées, il faisait également place à des poëmes en prose extraits du Gaspard de la Nuit, Mallarmé était peut-être à l’origine de cette résurrection dont on ne pourrait relever, pour cette période, que de bien rares exemples. Baudelaire et Aloysius Bertrand sont donc bien, de toute évidence, au point de départ de l’incursion que fit Mallarmé dans le domaine du poëme en prose où, dès ses premiers pas, il se fraya un chemin qui lui est propre et ne rappelle pas étroitement ses grands devanciers. Ces Pages oubliées, outre un style et un accent qui leur sont propres, présentent, dans plus d’un cas, un caractère très nettement et visiblement autobiographique. Entre 1864, date de la première publication de ces poèmes en prose dans la Semaine de Licby-Cusset et 1891, date de leur réunion complète, ils furent publiés et réédités à maintes reprises, plus ou moins isolément; outre la Rerue des Lettres et des Arts qui, en 1867,