Page:Mallarmé - Œuvres complètes, 1951.djvu/240

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veau humain, supérieure à son énonciation par la langue humaine. Et maintenant, comme par une moquerie de cette jactance, deux mots — deux doux dissyllabes étrangers, musique italienne, faits seulement pour être murmurés par des anges, au clair de lune, rêvant d’ « une rosée qui pend comme des liens de perles de la colline d’Hermon », — ont suscité de l’abîme de son cœur des pensées comme il ne s’en place point et qui sont l’âme de la pensée; de plus riches, de bien plus étranges, de bien plus divines visions que la séraphique harpiste Israfei même (qui a « la plus suave voix de toutes les créatures de Dieu ») ne saurait prétendre énoncer. Et moi ! mes charmes sont rompus : la plume tombe impuissante de ma main qui vacille. Avec ton cher nom pour texte, je ne puis, quoique commandé par toi, écrire — ne puis parler ou penser — hélas ! je ne puis sentir; car ce n’est point sentir, cette immobile station sur le seuil d’or de la grille grande ouverte des rêves, à considérer, extasié, le fond de la somptueuse allée : et, frémissant de ne voir, à droite, à gauche et le long de la voie, parmi les vapeurs empourprées, tout au loin où la perspective se termine — que toi. A MA MÈRE jArce que je sens que, là-haut, dans les Cieux, les Jh anges l’un à l’autre se parlant bas, ne peuvent, parmi leurs termes brûlants d’amour, en trouver un d’une dévotion pareille à celui de « Mère »; en conséquence, je vous ai dès longtemps de ce nom appelée, vous qui êtes plus qu’une mère pour moi et remplissez le cœur de mon cœur, où vous installa la Mort en affranchissant l’esprit de ma Virginie. Ma Mère — ma propre mère, qui mourut tôt n’était que ma mère, à moi; mais vous êtes la mère de Celle que j’ai si chèrement aimée; et m’êtes ainsi plus chère que la mère que j’ai connue, de cet infini dont ma femme était plus chère à mon âme, qu’à cette âme sa vie.