Page:Mallarmé - Œuvres complètes, 1951.djvu/28

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6 POÈMES D’ENFANCE ET DE JEUNESSE Hier ! spectre que nous pliions

A genoux, — et dont nous riions ! Astre qui dans la nuit immense

S’éteint, sombre de souvenir,

Lui, qui brillait tant d’espérance !

— Hier ne peut plus revenir !

Hier, la fleur pâlie !... hier, le rocher sombre Qui, géant, se dressait, et qu’a rongé le flot ! Hier, un soleil mort ! une gloire dans l’ombre ! Hier !... qui fut ma vie, et qui n’est plus qu’un mot !... III

Oh ! mal traître et cruel !... la vierge se fait ange Pour éblouir nos yeux, avant d’aller à Dieu ! Nous voulons l’admirer, — l’aimer !... — une aile étrange Sous nos baisers blanchit — puis un jour dit adieu ! Sa mère en son linceul voudra dormir comme elle

— « Sa mère !... elle n’en a, tombée un jour du ciel ! »

— Mais une femme enfin lui prêta sa mamelle, La berça de longs soirs, la bénit à Noël ! Mais ses sœurs, chaque jour, la voient quitter la terre ! Ses trois sœurs que sa tête, — ainsi qu’un épi d’or Règne sur la moisson, — domine à la prière ! « Sa sœur est l’ange, au ciel elle prend son essor. » Mais ses frères naissants ne voyant plus dans l’ombre Au dortoir enfantin briller sa blanche lueur, Demanderont le soir à leur père, front sombre, Dans les pleurs seuls riants : « Où donc est notre sœur ? » Et les pauvres diront : « Voici l’hiver qui glace !... » Sous la brise les fleurs chanteront « Dies Iræ » Jour de colère... eh ! non ! pour Dieu sans pleurs il passe !

— Et moi, je maudirai !

Dieu ! ton plaisir jaloux est de briser les cœurs ! Tu bats de tes autans le flot où tu te mires ! Oh, pour faire, Seigneur, un seul de tes sourires Combien faut-il donc de nos pleurs ! Juin 1859.