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Page:Mallarmé - Œuvres complètes, 1951.djvu/286

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me l’indique en un hymne élancé mystiquement comme un lis. Le rythme de ce chant ressemble à la rosace d’une ancienne église : parmi l’ornementation de vieille pierre, souriant dans un séraphique outremer qui semble être la prière sortant de leurs yeux bleus plutôt que notre vulgaire azur, des anges blancs • comme des hosties chantent leur extase en s’accompagnant de harpes imitant leurs ailes, de cymbales d’or natif, de rayons purs contournés en trompettes, et de tambourins où résonne la virginité des jeunes tonnerres : les saintes ont des palmes, — et je ne puis regarder plus haut que les vertus théologales, tant la sainteté est ineffable; mais j’entends éclater cette parole d’une façon éternelle : Alléluia ! III Mais quand mon esprit n’est pas gratifié d’une ascension dans les cieux spirituels, quand je suis las de regarder l’ennui dans le métal cruel d’un miroir, et, cependant, aux heures où l’âme rythmique veut des vers et aspire à l’antique délice du chant, mon poëte, c’est le divin Théodore de Banville, qui n’est pas un homme, mais la voix même de la lyre. Avec lui, je sens la poésie m’enivrer — ce que tous les peuples ont appelé la poésie, —• et, souriant, je bois le nectar dans l’Olympe du lyrisme. Et quand je ferme le livre, ce n’est plus serein ou hagard, mais fou d’amour, et débordant, et les yeux pleins de grandes larmes de tendresse, avec un nouvel orgueil d’être homme. Tout ce qu’il y a d’enthousiasme ambrosien en moi et de bonté musicale, de noble et de pareil aux dieux, chante, et j’ai l’extase radieuse de la Muse ! J’aime les roses, j’aime l’or du soleil, j’aime les harmonieux sanglots des femmes aux longs cheveux, et je voudrais tout confondre dans un poétique baiser ! C’est que cet homme représente en nos temps le poëte, l’éternel et le classique poëte, fidèle à la déesse, et vivant parmi la gloire oubliée des héros et des dieux. Sa parole est, sans fin, un chant d’enthousiasme, d’où s’élance la musique, et le cri de l’âme ivre de toute la gloire. Les vents sinistres qui parlent dans l’effarement de la nuit, les abîmes pittoresques de la nature, il ne les