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Page:Mallarmé - Œuvres complètes, 1951.djvu/293

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pérement rêver. Maintenant qu’il murmurait un air joyeusement vulgaire et qui mit la gaîté au cœur des faubourgs, un air suranné, banal : d’où vient que sa ritournelle m’allait à l’âme et me faisait pleurer comme une ballade romantique ? Je la savourai lentement et je ne lançai pas un sou par la fenêtre de peur de me déranger et de m’apercevoir que l’instrument ne chantait pas seul. FRISSON D’HIVER Cette pendule de Saxe, qui retarde et sonne treize heures parmi ses fleurs et ses dieux, à qui a-t-elle été ? Pense qu’elle est venue de Saxe par les longues diligences autrefois. (De singulières ombres pendent aux vitres usées.) Et ta glace de Venise, profonde comme une froide fontaine, en un rivage de guivres dédorées, qui s’y est miré ? Ah ! je suis sûr que plus d’une femme a baigné dans cette eau le péché de sa beauté; et peut-être verrais-je un fantôme nu si je regardais longtemps. — Vilain, tu dis souvent de méchantes choses. (Je vois des toiles d’araignées au haut des grandes croisées.) Notre bahut encore est très vieux : contemple comme ce feu rougit son triste bois; les rideaux amortis ont son âge, et la tapisserie des fauteuils dénués de fard, et les anciennes gravures des murs, et toutes nos vieilleries ? Est-ce qu’il ne te semble pas, même, que les bengalis et l’oiseau bleu ont déteint avec le temps ? (Ne songe pas aux toiles d’araignées qui tremblent au haut des grandes croisées.) Tu aimes tout cela et voilà pourquoi je puis vivre auprès de toi. N’as-tu pas désiré, ma sœur au regard de jadis, qu’en un de mes poèmes apparussent ces mots « la