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Page:Mallarmé - Œuvres complètes, 1951.djvu/5

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INTRODUCTION

Préservée à la fois des impudeurs de la popularité et de toute amplification équivoque ou clinquante, la gloire de Stéphane Mallarmé est l’une des plus pures. Elle brille au plus haut et de plus en plus.

Après l’exécration dont le menaçaient, pendant sa vie, bien des chroniqueurs vaniteux, et malgré les réticences qui ricanent encore dans quelques écrits, chapelles ou programmes d’aujourd’hui, des poètes, certains critiques et de patients lecteurs lui ont assuré peu à peu, contre les clameurs et les persécutions de l’irascible incompréhension et des hommes de foirai !, une place de premier rang, avec Baudelaire et Rimbaud. Entre le dandysme nostalgique et l’intelligence souveraine du premier, les frasques, l’excentricité vertigineuse et le fulgurant génie du second, il a fait admirer une certitude, une lucidité, une séduction, un courage d’innovation, une grandeur dans la solitude, dont l’histoire littéraire ne semble pas prodiguer les exemples.

Sa distinction était profonde et pudique ; son génie hardi, mais de bonne compagnie. Il se détournait avec un sourire charmant des cris, des manifestes, des postures trop recherchées et répugnait aux affichages des cénacles et de la rue. Il ne se parait ni de chimères, ni de dédain, ni de singularités décoratives. Quand les bravades des vulgaires accaparaient bruyamment /’estrade et que l’exaspération des impuissants le bafouait, il ne s’effarait et ne s’emportait.

Son exquis affinement et une transcendance lumineuse lui conféraient le double avantage du songe et d’un noble équilibre. S’il semblait s’accommoder des hommes, avec ses yeux rêveurs et quelque hâte d’assentiment, c’est que sa pénétration et sa vigilance se refusaient à déclamer. « Les éclats doctoraux » et « le canon de l’actualité » le choquaient également. Lorsque fut connue, par exemple, l’étrange passade, aux relents de crasse et d’absinthe, où Verlaine et Rimbaud, en faunesse barbue et brutal escogriffe, « ivres de réciprocité », avaient désespérément étreint, dans « leur farouche mal », la rage d’aimer ou le vice factice et un peu littéraire de narguer et de scandaliser,