Page:Mallarmé - Œuvres complètes, 1951.djvu/6

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que celui-ci, avait su préparer son ’instrument verbal, forger « la nouveauté incisive et décisive d’une langue poétique1 », rendre étonnants les mots les plus simples et refaire miraculeusement denses, frais, musicaux, les vocables qui, che% beaucoup de versificateurs, semblaient de sens épuisé et presque vidés deleur son ?

Il avait banni de son œuvre, avec sévérité, tout ce qui eût été confidences, confession, ivresse sentimentale, chansons d’estaminet ou de sentier fleuri, complaisance descriptive, leçons ou préceptes de la supériorité, lamentations, parades ou prophéties ; c’était fuir résolument, aristocratiquement, le suffrage

de la foule, celui des rimeurs et des lecteurs pressés, et ne retenir

de la mission du poète, créateur insigne d’après lui, que sa noblesse et sa suprême visée. Il ne se souciait pas de carrière, d’avancements fructueux ou applaudis, mais de sonorités, de cadences, d’harmonies syllabiques et syntaxiques, d’ajustages subtils, d’incantation. « Ni le personnage n’éprouvait grand goût pour les honneurs institués et spéciaux aux lettres. » Cette ambition tour à tour radieuse et désespérée concentrait une vie d’allure toute lisse, sans les orages d’une de ces incohérences parfois appliquées ni l’importance ou l’imposture des réussites épanouies. Rien de bas jamais ne se glissait. Les attaques inconvenantes des irrités et l’absurde estimation que faisaient de son effort les réfractaires riéchappaient pas à sa clairvoyance ; mais autant que l’étincellement de son esprit, le charme de ses manières, les précautions enjouées de son cœur, la constance de sa rectitude se tenaient très naturellement au-dessus des perplexités. S’il lui a manqué l’apothéose d’unanimité et même l’heureuse plénitude des réalisations dernières, au moins les dialogues d’amitié avec Villiers, Manet, Banville, et les propos de l’action persuasive avec Régnier, Claudel, Gide, Valéry, avaient-ils, à trente ans d’écart, réchauffé son isolement et rassuré sa vocation. Le plus semblable à lui de ses derniers suivants lui a dédié des pages célèbres où l’on peut lire : « Introduire dans l’art de plaire ou de toucher par le langage, de telles compositions de gênes et de grâces, donnait à concevoir chez celui qui l’osait, une force, une foi, un ascétisme, un mépris du sentiment général sans exemple dans les Lettres, qui en ravalaient toutes les i. Pierre Beausire. Essai sur la Poésie et la Poétique de Mallarmé. (Roth, éditeur, Lausanne.)