Aller au contenu

Page:Mallarmé - Œuvres complètes, 1951.djvu/595

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

la civilisation, et l’Art s’épandit ou plutôt ses produits que portaient aux vaincus les vainqueurs, d’une contrée à l’autre. Et la culture spirituelle avec scs usages couvrit la face de la terre, de façon que tous les peuples continuèrent à se servir de ce que l’artiste tout seul produisait. Et les siècles se passèrent en ces coutumes, et le monde fut inondé de tout ce qui était beau, jusqu’à ce que se leva une classe nouvelle qui découvrit le bon marché et prévit la fortune dans la fabrication du faux. Alors jaillirent à l’existence le clinquant, le commun, la camelote. Le goût du commerçant supplanta la science et l’artiste, et ce qui était né de mille et mille leur retourna, et les charma, car c’était d’après leur propre cœur; et les grands et les petits, l’homme d’état et l’esclave, prirent pour eux l’abomination offerte et la préférèrent — et ont vécu avec, toujours, depuis lors ! Et l’occupation de l’artiste s’en allait, et le manufacturier et le détaillant prirent sa place. Et hors des cruches les héros versèrent et burent aux coupes — avec connaissance de cause — notant l’éclat du neuf objet de parade et mettant un orgueil en sa valeur. Et le peuple — maintenant — eut beaucoup à dire en cette affaire et chacun fut satisfait. Et Birmingham et Manchester se levèrent en leur puissance — et PArt fut relégué dans la boutique de bric-à-brac. La nature contient les éléments, en couleur et forme de toute peinture, comme le clavier contient les notes de toute musique. Mais l’artiste est né pour en sortir, et choisir, et grouper avec science, les éléments, afin que le résultat en soit beau — comme le musicien assemble ses notes et forme des accords — jusqu’à ce qu’il éveille du chaos la glorieuse harmonie. Dire au peintre qu’il faut prendre la peinture comme elle est, vaut de dire au virtuose qu’il peut s’asseoir sur le piano. « La nature a toujours raison » est une assertion artistiquement aussi controuvée, que la vérité en est universellement prise pour argent comptant. La nature a très rarement raison, à tel point même, qu’on pourrait presque dire que la nature a habituellement tort : que