Page:Mallarmé - Œuvres complètes, 1951.djvu/596

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l’état de chose nécessaire pour grouper une perfection d’harmonie digne d’une peinture est rare; ou, pas commun du tout. Cela va sembler, même aux plus intelligents, une doctrine presque blasphématoire. Si incorporé avec notre éducation est devenu l’aphorisme en question, que la croyance à sa véracité passe pour faire partie de notre être moral et les mots eux-mêmes ont à notre oreille, un son de religion. Pourtant la nature réussit rarement à produire un tableau. Le soleil resplendit, le vent souffle d’est, le ciel est vide de nuages, et, au dehors, tout est de fer. Les vitres du Palais de Cristal s’aperçoivent de tous les points de Londres. Le promeneur du dimanche se réjouit d’une journée glorieuse et le peintre se détourne pour fermer les yeux. Combien peu l’on perçoit cela, et avec quelle obéissance le quelconque dans la nature s’accepte pour du sublime, on le peut conclure de l’admiration illimitée produite quotidiennement par le plus niais coucher de soleil. La dignité des montagnes coiffées de neige se perd en trop de netteté, mais la joie du touriste est de reconnaître les voyageurs à leur sommet. Le désir de voir, pour le fait de voir est, quant à la masse, le seul à satisfaire : de là sa jouissance du détail. Et quand la brume du soir vêt de poésie un bord de rivière, ainsi que d’un voile et que les pauvres constructions se perdent dans le firmament sombre, et que les cheminées hautes se font campaniles, et que les magasins sont, dans la nuit, des palais et que la cité entière est comme suspendue aux cieux —et qu’une contrée féerique gît devant nous — le passant se hâte vers le logis, travailleur et celui qui pense; le sage et l’homme de plaisir cessent de comprendre comme ils ont cessé de voir, et la nature qui, pour une fois, a chanté juste, chante un chant exquis pour le seul artiste, son fils et son maître — son fils en ce qu’il aime, son maître en cela qu’il la connaît. A lui son secret se déploie, à lui ses leçons graduellement se sont faites claires. Il regarde sa fleur, non pas dans les verres grossissants afin de recueillir des faits pour la botanique, mais avec la lumière de qui voit, en la vérité choisie de tons brillants et de délicates nuances, des suggestions pour des harmonies futures.