Page:Mallarmé - Œuvres complètes, 1951.djvu/615

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bouche, noyée, elle-même, en l’extase comme un autre regard plus grand, exalté vers des cieux, respire une brise pareille à celle qui traverse la Malaya et son bois sacré de santal. Il défaillit à la taille mince et au sein levé en offrande; que découvrait une onde de fiers cheveux tombant sur les épaules d’abord, puis sur l’ampleur des hanches calmant, sans l’appesantir, l’élan de la démarche légère. « Ayez pitié de moi, femme trop charmante (il sortit de sa cachette, anxieux), faites-moi vivre de nouveau; en attachant sur un, qu’a mordu le serpent de l’amour, ce sourire seul capable de fermer sa blessure, comme un magique baume. » Prière superflue ! Soundari ne sentait ni le besoin d’être persuadée, ni l’envie de se défendre. La vie de cette esclave couronnée, que des nerfs, tour à tour, caressés et brisés par le feu du climat, éveillaient comme à de suprêmes musiques, avec l’accompagnement, redoutable et morne des passions indiennes, toute afflua dans un de ses regards. « Oh ! murmura le prince agenouillé, je te reconnais, toi que je savais avant de naître. O Soundari, ravie par un tyran, ma fiancée, tu m’appartenais de tous temps : je suis ton fiancé, le fils du roi Mithîla; vainqueur des dangers et de la mort, pour, ici, tomber à tes pieds. » Le Kohila chanta, tout à coup, l’hymne matinale. « La nuit fut complaisante à notre rencontre : faut-il qu’à peine elle s’est accomplie, nous nous séparions ! » Comme un enfant boudeur, la reine se pendit soudain au cou du bel Oupahara, lui fit de ses bras parfumés un étroit collier. Grave et lente bientôt : « Si tu pars, maître de mon âme, compte que mon souffle s’en ira avec toi. Emmène-moi, ou il n’y a plus moyen d’exister pour ton esclave ! » — « Patience, chère insensée, nous perdrions tout par une conduite si imprudente; m’aimant, écoute-moi. Nul plus que ton époux n’est crédule aux incantations et à l’œuvre des sorciers. Montre-lui le portrait que je t’ai envoyé : persuade-le (non il ne faut pas ouvrir cette bouche de perle pour te récrier, ni pour rire, ou je la baiserai, enfant) que ce talisman peint a le don de métamorphoser en celui qu’il représente quiconque s’abîme à le contempler; et, si tu m’y trouves beau, exige qu’il