Page:Mallarmé - Œuvres complètes, 1951.djvu/614

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pour traverser, dans l’ombre, l’eau stagnante : puis, sauter d’un bond de léopard sur le grand portail, et, de là, glisser sur le terre-plein, il était au cœur de la forteresse. Le cri plaintif d’un couple de ramiers, échangeant leur aveu dans les roseaux d’un étang, l’arrêta. Une allée s’offre entre des tchampakas si élevés et touffus qu’il eût dit une rue bordée de hauts logis que toucheraient ses mains, les deux bras étendus; au fond, un porche sablé élargi par cent banians séculaires. La lune se mire, comme en des bassins, au luisant des sabres recourbés, le long de chambellans endormis. Le promeneur, brusquement, atteint par un tournant à d’interminables manguiers. Quel instinct ou quelle connaissance du site, pour déjouer les pièges et leur mystère ! les deux : car le prince aimait et il se souvenait des conseils minutieux de la prudente anachorète. Le berceau d’asôkas, terme de sa course; enfin, il l’aborde, y séjourne, écartant doucement les tiges artificielles fleuries d’odorantes lanternes, qui s’abaissent sur un lit brodé de soie, mais vide. Complices de l’amour ou de ses serviteurs vigilants, attendent autour d’une ombrelle épanouie, un éventail aux oiseaux immobiles; une aiguière étincelante de gouttes mystérieuses, diamants ou senteurs. Oupahara distingue sur une poudre d’étoiles, prêtes à la revêtir d’éblouissantes sandales, la nudité d’un pas. Apparemment ce pas avait bravé plus d’un danger, car l’apparition, qu’il conduisait avec un silence rythmé, se précipita éperdue dans la salle de verdure; et seuls les noupouras résonnèrent joyeusement à mi-hauteur d’une jambe enfantine. Un gémissement, échappé comme à un luth plaintif, attesta deux lèvres humaines : « Hélas ! on m’a trompée (ne voyant pas l’amant : il s’était caché, contre un tronc, pour jouir de cette venue et n’y mêler son attente, et :) Mon cœur, pourquoi as-tu cru à une chose impossible ! » Ah ! l’anachorète, sa nourrice, avait trompé l’adolescent : ce n’était pas une femme, même souveraine et jeune; mais une déité. Un chant muet s’éleva en lui, disant, à travers les battements de sa vie, ces motifs épars : — La liane gracieuse des sourcils badine en suivant le contour des yeux, ces lacs où se fond l’éternel azur d’un jour de bonheur — la joue, où coule la prunelle, est argentée ainsi que la tige de roseaux — une