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Page:Mallarmé - Œuvres complètes, 1951.djvu/632

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« Que ne puis-je, sur ce front charmant, poser le diadème ! Je ne possède, au lieu d’un trône, que la couche funèbre, à vous offrir. Si jeune, si belle, si vivante, pouvez-vous consentir à épouser un mort I — La franchise de mes aveux ne m’enlèvera rien de votre estime, vous avez le cœur noble. Le mien, qui s’ignorait, hier battit pour la première fois. Vos yeux, brillant peut-être de ce lointain où vous vous évanouissez pour tout le monde, m’ont parée, en s’arrêtant sur moi, du seul joyau véritable, une virginité, qui se révèle, que je sens tressaillir en mon sein; et dont le don exulte vers vous. Scintillation de toute mon intimité; divine, ne durât-elle que l’heure de vous aimer et chère plus que cent ans rester la femme de tout prince illustre et vivant. — Si c’est ainsi, ma chérie, ne différons pas davantage et que se noue notre lien. » A qui n’a que deux heures d’existence par nuit, il est permis de brusquer les choses. Le Brahmane appela les esprits pour servir de témoin au mariage et, ouvrant les livres sacrés, y lut les paroles d’usage. Il invoque Vishnou, prend les mains des fiancés, les mêle, répand dessus l’eau lustrale. Lakshmi baisse ses yeux sous le regard en flamme du Rajah et frissonne au vol des caresses futures comme les roseaux de la Yamouna natale se froissent dans la brise. Le guerrier saisit la jeune Indienne, il l’emporte entre ses bras. Solennelle chambre nuptiale, cette coupole éternisant les emblèmes de la mort ! l’eau funéraire et la graine du sésame demeurent aux vases d’or, près du lit, où le roi vient d’entraîner son épousée. L’amour tire de la mort sa majesté la plus haute; et, du reste, ne brûle-t-il pas d’assez d’ardeur pour réchauffer un tombeau. A voir le Rajah si passionné, on ne se douterait guères, ou si ! que sa vie va l’abandonner avant peu. « Ah ! soupira-t-il, n’ajoutant : Quelle destinée est la mienne ! Cette taille de fleur, je l’enlace et mes bras s’en vont détacher d’eux-mêmes; bientôt je retomberai dans l’immobilité absolue et toutes les blandices ne sauront me réveiller. » Le devinant : « Que ne m’est-il permis de mourir avec vous, cher Seigneur, quand ce ne serait que pour pénétrer ensemble jusqu’au fond de l’amour; et savoir, par la