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Page:Mallarmé - Œuvres complètes, 1951.djvu/633

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même occasion (ajouta-t-elle) le motif qui ordonne votre mort chaque jour et chaque nuit votre résurrection. » Histoire terrible et mystérieuse ! l’enfant, qui entra seule d’un pas naïf au tombeau, sent qu’elle pénètre, en écoutant, les arcanes ignorés du peuple et de la terre. « Tu sais, dit le Rajah, que la fortune, bonne et mauvaise, ou la vie de chacun ici-bas, dépend du magique collier, qu’il porte autour du cou; le garde-t-il intact, il ne court de risque. Cette croyance accréditée dans toute une partie de l’Inde, moi, mieux que personne, j’y dois maintenant ajouter foi. Une après-midi, je me promenais, dans les parfums émanés par les jardins, autour du palais; quand une Péri qui de l’aile agitait leur baume et y causait un petit remous odorant, soudain m’aima; elle voulait m’épouser et m’emmener avec elle pour régner sur les esprits de l’air. Ne froncez pas ce sourcil, il en tomberait dans notre bonheur, une minute noire : Lakshmi, je refusai avec dédain. Je n’aimais pas. La furieuse fée arracha de mille griffes le collier en grains de santal qui retenait mon âme, s’enfuit avec sa proie; aussitôt, je tombai mort. La pompe de mon deuil dissipée, seuls mes amis et mes proches conservant l’habitude de me pleurer ici, où je fus magnifiquement enfoui, voici que pour tous invisible mais illuminant ma mort, chaque nuit, revient, au doigt suspendu le collier dérobé, la Péri. Je me remets à vivre. « Cette fois, tu consens à m’épouser » chuchote-t-elle avec ses lèvres à venir et qui veulent éclore; et reste ici deux heures attendant un « Oui » que je n’exhale jamais. Tiens; elle voltige, sans doute, ma bien-aimée, au-dessus de nos têtes : jalouse, son dépit doit être violent. » — Quoi ! vit-elle nos embrassements, ce n’est pas que je la craigne; mais rien, pour rester seuls, ne nous débarrassera-t-il ? Un filet ! ne peut-on la prendre dans les mailles ! » — Son pouvoir la fait insaisissable, on ne saurait même attarder son vol ennemi : je le sens, elle va partir avec le collier. Maudite Péri. Adieu, chérie, je rends, l’espace d’aujourd’hui, mon dernier soupir sur ta bouche. » Le lit, funéraire et nuptial, assombrissait le cher visage de l’épousée, penché sur l’autre, serein, grave et froid du prince voué à l’immobilité. « Toutes les nuits (s’attristait-elle) il faudra subir cette loi, passer sans transition