Page:Mallarmé - Œuvres complètes, 1951.djvu/641

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Nala, épuisé par l’effort; il y a des missions pénibles à remplir. Un sourire candide s’épanouit sur le visage de Damayanti. « Je respecte et j’adore les dieux, dit-elle, mais je t’ai, toi seul, choisi pour époux : ma richesse ou moi, la plus grande que j’aie, en toute confiance, Seigneur, je te la donne. Prends. Ne l’as-tu pas deviné, l’amour me consume et je n’ai fait convoquer l’assemblée des rois dans un espoir autre que devenir ta femme .» Le héros se sent faiblir devant cette ingénue et franche tendresse, mais fidèle au devoir et à la foi jurée : « Comment préférer un homme, quand les immortels t’adressent leur vœu ? Tu les dédaignerais pour celui qui n’égale la poussière de leurs pieds. Agni, le souverain des êtres, qui doit, un jour, consumer la terre; Yama, qui retient les hommes dans le devoir, selon la crainte des châtiments; Varouna, le seigneur des eaux; Indra, maître du tonnerre, roi des dieux, fléau des Dânavas*, tu les refuserais ! — Je t’aime, Nala; à mes yeux tu es plus grand qu’eux tous. Repousse-moi, je chercherai dans le poison, le feu ou le fleuve, le seul oubli de ma douleur. — Ah ! mon amour vaut le tien. Si je me consumai, nuit et jour, avant de te connaître, qu’est-ce à présent, ô fille nonpareille : mais ne négligeons que je suis venu ici défendre les intérêts des autres, pas les miens. Si je trahis les dieux, ne crains-tu, ô bien-aimée, sur nous, la vengeance de ces êtres puissants, qui donnent la mort ? » Un jet de larmes s’échappa des yeux de Damayantî : ressource suprême chez la femme, quand elle n’a rien à répondre devant un argument terrible : « Ils te tourmenteraient, c’est vrai; mais (relevant la tête, où le vouloir illuminait de grands yeux) j’ai trouvé un moyen qui concilie tout : présente-toi demain à mon swayambara, devant tous, je te choisis pour mon époux. Les dieux ne te reprocheront rien ; leur dépit, s’ils en éprouvent, ou la colère, retombera sur l’unique coupable. Adieu, noble guerrier, sors au plus vite du sérail, où l’on pourrait te surprendre.» Nala obéit, mais sur le seuil de l’appartement, il se retourne : penchée hors de sa couche, la vierge le suivait d’un regard passionné, qui semblait dire : « Je t’envoie mon cœur; qu’il ne me revienne plus ! »

  • Titans, ennemis des dieux.