l’âme, le vieux Bhîma regretta de n’être pas le beau-père d’un des quatre habitants du ciel. Le roi du Nichadha emmena sa jeune épouse dans les jardins de son royaume; le couple oubliant, au bord des bassins et dans le labyrinthe fleuri, les obstacles dont il avait triomphé; et deux roses qui ne s’effeuillaient était la bouche de l’un et de l’autre partout se cherchant avec félicité. Un fils, une fille naquirent, gages prompts de leur amour. Tout bonheur ne fait qu’écarter peu de jours l’angoisse, il ne la détruit pas : un génie malfaisant, nommé Kali, lui aussi, soupirait pour la princesse, il jura de se venger. La cuirasse de vertu enveloppant Nala cache un défaut, le roi est joueur : passionnément : à tout, son royaume, les cités, les sujets, engager sur un coup de dés ! 11 accepte une partie que propose son frère Poushkara. Kali s’insinue en lui, l’envahit et commande. La chance tourne contre le roi, souriant et presque indifférent d’abord : son or, brut ou monnayé, ses chars, ses attelages radieux, tout, jusqu’à ses bijoux et des vêtements, il les perd successivement. Les dés, en retombant, marquent par un bruit strident leur inimitié envers Nala : son désespoir les lance dans l’espace comme on montre le poing, toujours ils le trahissent. Le joueur s’obstine, tremble, chancelle; fiévreux de ne manger trois jours et le coin des paupières brûlé par l’insomnie. Cris, des ministres, du peuple, qui veulent pénétrer chez le souverain et l’arracher à la lutte insensée : tous forcent les portes, figés au seuil, devant le roi qui n’a plus à perdre que son royaume. Damayantî paraît. Le malheureux, dans son délire, n’entend ni les remontrances de ses conseillers ni la supplication de celle qui pouvait tout sur son cœur. Ses yeux hagards, dardant les dés, il les invoque, les menace et, tant qu’un enjeu restera, sa main crispée agite la ruine. Avec fascination, l’épouse, la foule, les dieux eux-mêmes, du haut du ciel, suivent, muets, l’acte impie. Les suprêmes dés rejaillissent avec une joie sinistre, ç’en est fait : le glorieux royaume n’appartient plus à Nala. Poushkara ricane à la victime : « Continuons ! je t’ai gagné tout, excepté Damayantî ; or, si tu m’en crois, fais enjeu avec Damayantî. » Profanation devant quoi recula le Démon qui trouble Nala : l’infortuné, sans répondre, arrache ses parures,
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