Page:Mallarmé - Œuvres complètes, 1951.djvu/712

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soustraite de bonne heure à la ribote contemporaine,une Ame a, pour ainsi dire, tranché simplement le lien du Présent et défait son humanité en l’Histoire; et ce qui reste, en la Nature. Mais ce sera comme il plaît aux songes, la Légende entière et passée et future de l’Homme, dont la grandiose abstraction, d’abord personnifiée par un miraculeux Adam, se dissipe à travers le nuage amoncelé par le temps, jusqu’à faire le nombre diffus et triste des races dernières. Souvenirs et prophétie ! toute la Vision ! Pour les paysages vus d’un œil exotique et familier, ils sont enveloppés d’une brume pareille à cet âge des races, de qui les bois recèlent la mort dans une attente de l’automne où le fleuve emporte le sang après les luttes du soir, vers la mer inhabitable. Cependant, à une telle Ame, résolue en autant de choses et veuve de soi, n’est pas refusé le don suprême de se ressaisir; et si quelque langueur natale abat et change l’inspiration en de beaux vents plaintifs et traînants, c’est en tant qu’un séculaire et granitique orgueil, inaccessible à la ruine, que se condense, au contraire, le sentiment quotidien de la vie. » Je demande pardon au rêveur d’avoir, par amour excessif de la symétrie, exposé à l’œil l’armature mystérieuse de son œuvre; et du fait ordinaire que ces impressions ne sont pas amassées, dans le sommaire précédent, sans affecter une ressemblance lointaine avec ce que représente à tout esprit la Poésie, j’infère cette indéniable vérité que nous avons affaire à une âme non commune de poète, et complète : car elle est à la fois logique et sensible. Non que le recueil, nous avons dit qu’il reproduit plusieurs volumes, offre a priori un plan systématique et extérieur. Il obéit à cette conception (une de celles de la Poésie, nécessairement, puisque sa doctrine s’étend à la plupart des œuvres poétiques qui ont illustré les siècles humains), laquelle admet que le hasard s’immisce dans l’ordonnance des morceaux d’un Livre, et laisse le lecteur se figurer après coup, le dessin, pareil à celui d’une riche étoffe, que forme la pensée du poète. Mais quel hasard savant est, parfois, et notamment dans ce cas, celui qui rassemble des titres comme ceux que voici, desquels se dégage une intention habituelle et significative : la Vision d'Eve, l'indestructible, le Blasphème, la Prison, Lazare, l'invisible Eien, les Écussons, la Révélation de Jubal, les