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RÉPONSES A DES ENQUÊTES SUR L'ÉVOLUTION LITTÉRAIRE (Enquête de Jules IIuret) M Stéphane Mallarmé. — L'un des littérateurs les • plus généralement aimés du monde des lettres avec Catulle Mendès. Taille moyenne, barbe grisonnante, taillée en pointe, un grand ne% droit, des oreilles longues et pointues de satyre, des yeux largement fendus brillant d'un éclat extraordinaire, une singulière expression de finesse tempérée par un grand air de bonté. Quand il parle, le geste accompagne toujours la parole, un geste nombreux, plein de grâce, de précision, d'éloquence ; la voix traîne un peu sur les fins de mots en s'adoucissant graduellement : un charme puissant se dégage de l'homme, en qui l'on devine un immarcescible orgueil, planant au-dessus de tout, un orgueil de dieu ou d'illuminé, devant lequel il faut tout de suite intérieurement s'incliner, quand on l'a compris. « Nous assistons, en ce moment, m'a-t-il dit, à un spectacle vraiment extraordinaire, unique, dans toute l’histoire de la poésie : chaque poëte allant, dans son coin, jouer sur une flûte, bien à lui, les airs qu’il lui plaît; pour la première fois, depuis le commencement, les poëtes ne chantent plus au lutrin. Jusqu’ici, n’est-ce pas, il fallait, pour s’accompagner, les grandes orgues du mètre officiel. Eh bien ! on en a trop joué, et on s’en est lassé. En mourant, le grand Hugo, j’en suis bien sûr, était persuadé qu’il avait enterré toute poésie pour un siècle; et pourtant, Paul Verlaine avait déjà écrit Sagesse ; on peut pardonner cette illusion à celui qui a tant accompli de miracles, mais il comptait sans l’éternel instinct, la perpétuelle et inéluctable poussée lyrique. Surtout manqua cette notion indubitable : que, dans une société sans stabilité, sans unité, il ne peut se créer d’art stable, d’art définitif. De cette organisation sociale inachevée,