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Sous la tutelle des lords Chatham et Littleton, anxieux d’en faire un homme politique marquant, étudiait, choyé par sa mère et banni d’auprès d’elle pour l’achèvement d’une éducation somptueuse, le fils de feu le lord maire Beckford (de qui la fière adresse à George III se lit sur un monument érigé au Guildhall). Mais, aux voûtes de la demeure provinciale avec le silence, un génie, celui de la féerie et de l’Orient, élut cette jeunesse : exilée d’entre les grimoires de la bibliothèque paternelle et hors d’un certain Boudoir Turc, il la hantait en Suisse, au cours de droit et de sciences, et à travers la Hollande, l’Allemagne, l’Italie. Savoir les classiques, dépositaires des annales civiles du monde passé, charmait l’adolescent comme un devoir, même des poëtes, Homère, Virgile ; mais les écrivains de Perse ou Arabes, comme une récompense ; et il domina l’une et l’autre des langues orientales à l’égal du latin ou du grec. Avis, prières, insinuations et jusqu’au blâme, confiscation amicale des tomes trop feuilletés, nul fait de la raison ne savait conjurer l’enchantement ; or point d’autre emploi immédiat chez William Beckford des premières heures de majorité que, libre et le rêve à lui, de jeter sur le papier, vers le commencement peut-être de 1781, Vathek. Je l’ai écrit dans une seule séance et en français, raconta sur le tard le débutant, et cela m’a coûté trois jours et deux nuits de grand travail — je ne quittai pas mes habits de tout le temps,