Page:Mallarmé - Les Dieux antiques.djvu/165

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

marchand venant à Argos, elle alla à bord choisir des objets et les acheter ; que le capitaine du vaisseau l’emmena, contre son gré ou point, et que cette offense poussa les Grecs par représailles à enlever Medée de Colchis. Cette version n’a aucune ressemblance avec la première : le seul point d’analogie qui existe entre elles, c’est qu’on mena Io en Asie. Le narrateur grec parla cependant de la même Io, car il l’appelle fille d’Inachos. Voici comment il faut entendre la leçon postérieure. Quand les incidents merveilleux des vieilles légendes vinrent à paraître incroyables, Hérodote et d’autres écrivains s’imaginèrent pouvoir tout arranger en écartant ce qu’il y avait de merveilleux dans chaque histoire et en continuant à la tenir pour la même. C’est ainsi que, selon lui, Io ne fut pas changée en génisse et ne parla jamais à Prométhée. L’historien Thucydide fait de la même façon un récit très-plausible de la guerre de Troie, en laissant de côté tout ce qu’il est dit d’Hector, d’Hélène, d’Achille et des autres personnages de l’époque. Cette méthode n’est ni plus ni moins digne de foi que le serait un nouveau conte, qui affirmerait que « la Belle au bois dormant » n’a pas dormi cent ans, parce qu’il est difficile que l’on dorme cent ans ; et que quant au pouvoir de la fée de Mataquin, qui versa cet enchantement, il n’y faut certainement pas croire, le royaume de Mataquin n’existant ni dans les traités d’histoire, ni dans les atlas de géographie. — « Toutefois, continuerait le conte moderne, il est plus que probable (et rien là qui ne rentre dans l’ordre de faits pouvant se passer encore journellement sous nos yeux) que le jeune prince a réveillé la charmante princesse attardée dans un château qu’entoure un bois doma-