Page:Mallarmé - Les Dieux antiques.djvu/330

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Du sanglier courbé sur des restes de proies,
Il le traîna tout près du lac dormant. En vain,
Blessé par le soleil qui dorait le ravin,
Le monstre déchirait le roc de ses défenses.
Il fuyait. Souriant de ces faibles offenses,
Hercule, soulevant ses flancs hideux et lourds,
Le ramenait au jour lumineux. Mais toujours,
Attiré dans sa nuit par un amour étrange,
Le sanglier têtu retournait vers sa fange,
Et toujours, l’effrayant d’un sourire vermeil,
Le héros le traînait de force au grand soleil.

Théodore de Banville
(Les Exilés.)


TUEUR DE MONSTRES


Le beau monstre, à demi-couché dans l’ombre noire,
Laisse voir seulement sa poitrine d’ivoire,
Et son riant visage et ses cheveux ardents,
Et Thésée admirant la blancheur de ses dents,
Regardait ses bras luire avec de milles poses,
Et de ses seins aigus fleurir les boutons roses.
Au loin ils entendaient les aboiements des chiens,
Et la charmante voix du monstre disait : « Viens,
Car cet antre nous offre une retraite sûre.
Ami, je dénouerai moi-même ta chaussure,
J’étendrai ton manteau sur l’herbe, si tu veux,
Et tu t’endormiras le front dans mes cheveux,
Sans craindre la clarté d’une étoile importune. »
Mais comme elle parlait, un doux rayon de lune
Parut, et le héros, dans le soir triste et pur,
Vit resplendir avec ses écailles d’azur
Le corps mystérieux du monstre, dont la queue
De dragon vil, pareille à la mer verte et bleue,
Déroulant ses anneaux, et de blancs ossements
Brillèrent à ses pieds, sous les clairs diamants
De la lune. Alors, sourd à la voix charmeresse
Du monstre, et saisissant fortement une tresse
De la crinière d’or qui tombait sur ses yeux,
Il tira son épée avec un cri joyeux,
Et deux fois en frappa le monstre à la poitrine.
Et, hurlant comme un loup dans la forêt divine,
Crispant ses bras, tordant sa queue, horrible à voir,
L’Hydre au visage humain tomba dans son sang noir,
Tandis que le héros sous l’ombrage superbe,
Essuyant son épée humide aux touffes d’herbe,
S’en allait, calme ; et, sans que ce cri l’eût troublé,
Il regardait blanchir le grand ciel étoilé.

Théodore de Banville
(Les Exilés.)