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Sophie Gay va vivre, dont elle fera le théâtre de ses ambitions à la fois littéraires et aristocratiques, où elle satisfera jusqu’à son dernier jour sa passion dominante pour les plaisirs de l’esprit.

Anne de Kersaint, son ancienne amie de pension, s’appelle aujourd’hui la duchesse de Duras. Sa tête de Bretonne conserve les traits qui la distinguaient dès l’enfance ; ils ont perdu le charme du jeune âge ; sans être laide, la duchesse n’inspirera pas de passion. Son mari l’a épousée pour sa fortune. Premier gentilhomme de la Maison du roi, sa position le met en rapport avec toutes les notabilités du temps. Sa femme n’a qu’à choisir pour se créer un salon où elle tente la conciliation, le compromis entre le goût, le ton d’autrefois, et les puissances nouvelles. « Ç’a été, dit Sainte-Beuve, une des productions naturelles de la Restauration, comme ces îles de fleurs formées un moment sur la surface d’un lac, aux endroits où aboutissent, sans trop se heurter, des courants contraires. » Sur la tête une coiffure qui semble elle aussi un compromis entre la toque et le turban, elle préside son salon du haut d’une chaise élevée, « jette à ses auditeurs les sujets de conférences comme des sujets de thèses », discute, tranche, émet des idées dont elle a à revendre. Ordonne-t-elle le silence ? On va entendre quelque récitation de vers ou de prose. Stendhal range parmi « les catins à la mode » cette femme rare et supérieure. Sans doute découvre-t-il en elle une affectation qui choque sa prétention au naturel. Elle cherche « quoique un peu honteusement, à recueillir la succession de Mme de Staël ». Mme de Staël