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l’Enfant sublime. Là, les lectures sévissent, alternant avec les concerts religieusement écoutés ; là, les journaux prennent le ton. Là se recrutent les abonnés du « petit coin » pour lequel seul jouent les acteurs en vedette. Et l’on s’y demande — question saugrenue, considération tellement périmée qu’aujourd’hui elle ne viendrait à l’esprit de personne, mais servant de témoin, comme disent les architectes, pour signaler les lézardes d’une civilisation, — s’il est plus flatteur d’avoir quinze représentations devant un même public, ou cent devant un public qui se renouvelle. La passion des lettres, la prédilection pour l’esprit distinguent ces salons[1].

Les conditions matérielles de l’existence facilitent les réunions qui s’y tiennent. Paris n’est encore ni bien grand ni bien peuplé, si on le compare à celui d’aujourd’hui. L’hôtel Biron est hors la ville, la Chaussée d’Antin finit de se construire. On voisine facilement. La maîtresse de maison s’astreint à rester toujours chez elle, et l’on est sûr de la rencontrer. Ainsi se forment et s’alimentent des foyers d’intelligence où la pensée règne en dominatrice, où le bon goût, les manières policées s’affirment et s’affinent, où l’esprit s’aiguise, où le langage s’épure. Ils rayonnent de là sur tout le pays ; leurs ondes s’étendent à toutes les classes de la société, qui en bénéficient. Ainsi se crée et s’entretient une élite intellectuelle, seule preuve chez un peuple d’une civilisation digne de ce nom. Voilà le milieu où

  1. Ch.-M. Desgranges : la Comédie et les Mœurs, p. 26. — Villemain : Souvenirs contemporains, p. 155.