Page:Malo - Une muse et sa mere.pdf/19

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collet. Je me rappelle encore le nez corbin chevauché par un binocle à équilibre instable, et la calotte sommant le crâne pointu de l’adjoint au bibliothécaire, homme tranquille et qui savait fort bien indiquer aux lecteurs l’emplacement du Larousse. Je prenais sur le temps de mes repas et sur celui de mon sommeil pour lire les Misérables ou ingurgiter les Burgraves. Ces derniers m’ont d’ailleurs valu une amère désillusion lorsque je les vis sur la scène du Théâtre-Français, une vingtaine d’années plus tard. Victor Hugo m’apparaissait comme un Titan, comme un dieu, et je me réjouissais à l’idée de contempler ses traits augustes, lorsque je m’installerais à Paris pour terminer mes études. Malheureusement, il ne m’attendit pas, et mourut six mois avant mon arrivée.

Je cherchais à me renseigner sur ces illustres objets de mes élans juvéniles. J’y éprouvais quelque difficulté dans le coin de province où je grandissais, d’autant plus que les nombreux travaux, mémoires, correspondances publiés depuis, de nature à satisfaire ma curiosité, demeuraient encore ensevelis dans des tiroirs secrets et fermés à triple tour. Le Ciel, par bonheur, combla cette lacune d’une manière inattendue.

Depuis que j’étais au monde, je voyais parmi les familiers de la maison une amie de ma mère, appartenant à la génération précédente, et qui s’appelait Mme  Labarre. Elle avait deux grands yeux bleus souriants et doux, une bouche fine admirablement dessinée, et un fort beau front, au haut duquel une raie partageait également les bandeaux de ses che-