Page:Malo - Une muse et sa mere.pdf/319

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raouts, de bals, de vanité. Chaque soir quatre à cinq de nos amis qui vous plairaient viennent causer avec nous des événements du jour. Chacun vient se consoler de ses craintes par les preuves de dévouement qu’il se promet. Vous aimeriez cette manière de vivre qui est douce et mélancolique… Votre sollicitude pour nos pauvres intérêts nous touche sensiblement. Nous sommes entourées de gens qui perdent de si gros revenus que nous n’osons plus nous plaindre de la diminution des nôtres. Tant que j’aurai de quoi nourrir Nisida et Roméo, je supporterai courageusement la misère, et, d’ailleurs, l’exemple d’Homère est là pour nous sauver de toute humiliation. C’est bien le moins si nous ne sommes pas toujours aussi riches que lui… Je suis paresseuse ; je vais, en souvenir de vous, tâcher de continuer votre Rêve ; les miens ne viendront pas m’en distraire, je n’en fais plus. La réalité de nos jours humilie la plus brillante imagination. Mais elle ne glace pas le cœur, et vous connaissez le mien. Venez, je crois qu’il y a quelque chose de grand à faire pour les nobles caractères[1]. »

Cette lettre soulève un coin du voile. La Muse, désenchantée, se voit belle d’une beauté rare, illustre comme aucune femme de son temps, et pauvre, de cette pauvreté qui l’oblige à porter des chapeaux calèches de chez Herbault, des robes à manches pen-

  1. Lettre de Sophie Gay à Rességuier, 12 janvier 1831, dans Lafond, l’Aube romantique, p. 77. — Lettre de Delphine Gay à Lamartine, 10 décembre 1830, dans Maritain, Lamartine et madame de Girardin, p. 269.