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EN FAMILLE.

Quand elle entra dans le village, elle vit que les rumeurs, et les chants qu’elle avait entendus partaient des cabarets aussi pleins de buveurs attablés que lorsqu’elle était arrivée, et d’où s’exhalaient par les portes ouvertes des odeurs de café, d’alcool chauffé et de tabac qui emplissaient la rue comme si elle eût été un vaste estaminet. Et toujours ces cabarets se succédaient, sans interruption, porte à porte quelquefois, si bien que sur trois maisons il y en avait au moins une qu’occupait un débit de boissons. Dans ses voyages sur les grands chemins et par tous les pays, elle avait passé devant bien des assemblées de buveurs, mais nulle part elle n’avait entendu tapage de paroles, claires et criardes, comme celui qui sortait confusément de ces salles basses.

En arrivant à la cour de mère Françoise, elle aperçut, à la table où elle l’avait déjà vu, Bendit qui lisait toujours, une chandelle entourée d’un morceau de journal pour protéger sa flamme, posée devant lui sur la table, autour de laquelle des papillons de nuit et des moustiques voltigeaient, sans qu’il parût en prendre souci, absorbé dans sa lecture.

Cependant quand elle passa près de lui, il leva la tête et la reconnut ; alors, pour le plaisir de parler sa langue, il lui dit :

« A good night’s rest to you. »

À quoi elle répondit :

« Good evening, sir.

— Où avez-vous été ? continua-t-il en anglais.

— Me promener dans les bois, répondit-elle en se servant de la même langue.

— Toute seule ?