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EN FAMILLE.

« Queu taudis !

— El’mettra bentôt d’autres lits au mitan.

— Por sûr, j’ne resterai point la d’ans.

— Où qu’ t’iras ; c’est y mieux cheux l’zautres. »

Et les exclamations se croisaient ; à la fin cependant, quand les deux premières arrivées se furent couchées, un peu d’ordre s’établit, et bientôt tous les lits furent occupés, un seul excepté.

Mais pour cela les conversations ne cessèrent point, seulement elles tournèrent ; après s’être dit ce qu’il y avait eu d’intéressant dans la journée écoulée, on passa à celle du lendemain, au travail des ateliers, aux griefs, aux plaintes, aux querelles de chacune, aux potins de l’usine entière, avec un mot de ses chefs : M. Vulfran, ses neveux qu’on appelait les « jeunes », le directeur, Talouel qu’on ne nomma qu’une fois, mais qu’on désigna par des qualificatifs qui disaient mieux que des phrases la façon dont on le jugeait : la Fouine, l’Mince, Judas.

Alors Perrine éprouva un sentiment bizarre dont les contradictions l’étonnèrent : elle voulait être tout oreilles, sentant de quelle importance pouvaient être pour elle les renseignements qu’elle entendait ; et d’autre part elle était gênée, comme honteuse d’écouter ces propos.

Cependant ils allaient leur train, mais si vagues bien souvent, ou si personnels qu’il fallait connaître ceux à qui ils s’appliquaient pour les comprendre ; ainsi elle fut longtemps sans deviner que la Fouine, l’Mince et Judas ne faisaient qu’un avec Talouel qui était la bête noire des ouvriers, détesté de tous autant que craint, mais avec des