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EN FAMILLE.

vouloir, et elle voulait, elle voudrait. Qu’elle ne faiblît pas tout à fait ce premier jour, et le second serait moins pénible, moins le troisième que le second.

Elle raisonnait ainsi en poussant ou en chargeant son wagonet, et aussi en regardant ses camarades travailler avec cette agilité qu’elle leur enviait, lorsque tout à coup elle vit Rosalie qui rattachait un fil, tomber à côté de sa voisine : un grand cri éclata, en même temps tout s’arrêta ; et au tapage des machines, aux ronflements, aux vibrations, aux trépidations du sol, des murs et du vitrage succéda un silence de mort, coupé d’une plainte enfantine :

« Oh ! la ! la ! »

Garçons, filles, tout le monde s’était précipité ; elle fit comme les autres malgré les cris de la Quille qui hurlait :

« Tonnerre ! mes broches arrêtées. »

Déjà Rosalie avait été relevée ; on s’empressait autour d’elle, l’étouffant.

« Qu’est-ce qu’elle a ? »

Elle-même répondit :

« La main écrasée. »

Son visage était pâle, ses lèvres décolorées tremblaient, et des gouttes de sang tombaient de sa main blessée sur le plancher.

Mais, vérification faite, il se trouva qu’elle n’avait que deux doigts blessés, et peut-être même un seul écrasé ou fortement meurtri.

Alors la Quille, qui avait eu un premier mouvement de compassion, entra en fureur et bouscula les camarades qui entouraient Rosalie.