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Page:Malot - En famille, 1893.djvu/258

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EN FAMILLE.

une pincée de sel pour qu’il fondît mieux. À la vérité il lui manquait un coquetier ; mais c’est là un ustensile qui n’est indispensable qu’à qui dispose du superflu. Un petit trou fait dans son morceau de pain lui en tint lieu. Et bientôt elle eut la satisfaction de tremper une mouillette dans son œuf cuit à point ; à la première bouchée, il lui sembla qu’elle n’en avait jamais mangé d’aussi bon, et elle se dit qu’alors même que les marmitons de son rêve existeraient réellement ils ne pourraient certainement pas faire quelque chose qui approchât de cet œuf de sarcelle à la coque, cuit sous les cendres.

Réduite la veille à son seul pain sec, et n’imaginant pas qu’elle pût y rien ajouter avant plusieurs semaines, des mois, peut-être, ce souper aurait dû satisfaire son appétit et les tentations de son estomac. Cependant il n’en fut pas ainsi ; et elle n’avait pas fini son œuf qu’elle se demandait si elle ne pourrait pas accommoder d’une autre façon ceux qui lui restaient, aussi bien que ceux qu’elle se promettait de se procurer par de nouvelles trouvailles. Bon, très bon l’œuf à la coque ; mais bonne aussi une soupe chaude liée avec un jaune d’œuf. Et cette idée de soupe lui avait trotté par la tête avec le très vif regret d’être obligée de renoncer à sa réalisation. Sans doute la confection de ses espadrilles et de sa chemise lui avait inspiré une certaine confiance, en lui démontrant ce qu’on peut obtenir avec de la persévérance. Mais cette confiance n’allait pas jusqu’à croire qu’elle pourrait jamais se fabriquer une casserole en terre ou en fer-blanc pour faire sa soupe, pas plus qu’une cuiller en métal quelconque ou simplement en bois pour la manger. Il y avait là des impossibilités contre lesquelles elle se casserait la tête ; et, en attendant