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EN FAMILLE.

qu’elle eût gagné l’argent nécessaire pour l’acquisition de ces deux ustensiles, elle devrait, en fait de soupe, se contenter du fumet qu’elle respirait en passant devant les maisons, et du bruit des cuillers qui lui arrivait.

C’était ce qu’elle se disait un matin en se rendant à son travail, lorsqu’un peu avant d’entrer dans le village, à la porte d’une maison d’où l’on avait déménagé la veille, elle vit un tas de vieille paille jeté sur le bas côté du chemin avec des débris de toutes sortes, et parmi ces débris elle aperçut des boîtes en fer-blanc qui avaient contenu des conserves de viande, de poisson, de légumes ; il y en avait de différentes formes, grandes, petites, hautes, plates.

En recevant l’éclair que leur surface polie lui envoyait, elle s’était arrêtée machinalement ; mais elle n’eut pas une seconde d’hésitation : les casseroles, les plats, les cuillers, les fourchettes qui lui manquaient, venaient de lui sauter aux yeux ; pour que sa batterie de cuisine fût aussi complète qu’elle la pouvait désirer, elle n’avait qu’à tirer parti de ces vieilles boîtes. D’un saut elle traversa le chemin, et à la hâte fit choix de quatre boîtes qu’elle emporta en courant pour aller les cacher au pied d’une haie, sous un tas de feuilles sèches : au retour le soir, elle les retrouverait là et alors avec un peu d’industrie, tous les menus qu’elle inventait, pourraient être mis à exécution.

Mais les retrouverait-elle ? Ce fut la question qui pendant toute la journée la préoccupa. Si on les lui prenait, elle n’aurait donc arrangé toutes ses combinaisons de travail que pour les voir lui échapper au moment même où elle croyait pouvoir les réaliser.