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EN FAMILLE.

tu vas voir ; si ça met en appétit de regarder manger les autres, la platée sera trop petite. »

La mère avait porté une fourchette de riz à sa bouche, mais elle la tourna et retourna longuement sans pouvoir l’avaler.

— Ça ne passe pas très bien, dit-elle en réponse au regard de sa fille.

— Il faut te forcer : la seconde bouchée passera mieux, la troisième mieux encore. »

Mais elle n’alla pas jusque-là, et après la seconde elle reposa sa fourchette sur son assiette :

« Le cœur me tourne, il vaut mieux ne pas persister.

— Oh ! maman !

— Ne t’inquiète pas, ma chérie, ce n’est rien ; on vit très bien sans manger quand on n’a pas d’efforts à faire ; avec le repos l’appétit reviendra. »

Elle défit son fichu et s’allongea sur son matelas haletante, mais si faible qu’elle fût elle ne perdit pas la pensée de sa fille, et en la voyant les yeux gonflés de larmes elle s’efforça de la distraire :

« Ton riz est très bon, mange-le ; puisque tu travailles tu dois te soutenir ; il faut que tu sois forte pour me soigner ; mange, ma chérie, mange.

— Oui maman, je mange ; tu vois, je mange. »

À la vérité elle devait faire effort pour avaler, mais peu à peu sous l’impression des douces paroles de sa mère sa gorge se desserra, et elle se mit à manger réellement, alors l’écuelle de riz disparut vite, tandis que sa mère la regardait avec un tendre et triste sourire :