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EN FAMILLE.

Elle devint tout oreilles, mais en s’efforçant de ne pas laisser paraître l’attention qu’elle prêtait à ces paroles.

« Il le payait cet appui.

— Pouvait-il faire autrement ?

— Il l’aurait pu s’il n’avait pas donné barre sur lui : on est fort pour résister à toutes les pressions d’où qu’elles viennent, quand on marche droit.

— C’était là le diable pour lui de marcher droit.

— Êtes-vous sûr qu’on ne l’a pas encouragé dans son vice, au lieu de le prévenir qu’un jour ou l’autre il se ferait renvoyer ?

— Je pense qu’on a dû faire une drôle de mine quand on ne l’a pas vu revenir : j’aurais voulu être là.

— On s’arrangera pour le remplacer par un autre qui espionne et rapporte aussi bien.

— C’est tout de même étonnant que celui qui est victime de cet espionnage ne le devine pas et ne comprenne pas que ce merveilleux accord d’idées dont on se vante, que cette intuition extraordinaire ne sont que le résultat de savantes préparations : qu’on me rapporte que vous avez ce matin exprimé l’opinion que le foie de veau aux carottes était une bonne chose, et je n’aurai pas grand mérite à vous dire ce soir que je suppose que vous aimez le veau aux carottes. »

Ils se mirent à rire en se regardant d’un air goguenard.

Si Perrine avait eu besoin d’une clé pour deviner les noms qu’ils ne prononçaient pas, ce mot « je suppose » la lui eût mise aux mains ; mais tout de suite elle avait compris que le « on » qui organisait l’espionnage était Talouel, et celui qui le subissait, M. Vulfran.