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EN FAMILLE.

peu étaient habitués à la demi-obscurité, venaient d’apercevoir.

« Qu’as-tu ? » demanda-t-il.

Franchement elle répondit, mais d’une voix émue.

« Je regarde le portrait placé au-dessus de la cheminée.

— C’est celui de mon fils à vingt ans, mais tu dois bien mal le voir, je vais l’éclairer. »

Allant à la boiserie, il pressa un bouton, et un foyer de petites lampes placé au haut du cadre et en avant du portrait l’inonda de lumière.

Perrine qui s’était relevée pour se rapprocher de quelques pas, poussa un cri et laissa tomber le volume du Tour du monde.

« Qu’as-tu donc ? » dit-il.

Mais elle ne pensa pas à répondre, et resta les yeux attachés sur le jeune homme blond, vêtu d’un costume de chasse en velours vert, coiffé d’une casquette haute à large visière, appuyé d’une main sur un fusil et de l’autre flattant la tête d’un épagneul noir, qui venait de jaillir du mur comme une apparition vivante. Elle était frémissante de la tête aux pieds, et un flot de larmes coulait sur son visage, sans qu’elle eût l’idée de les retenir, emportée, abîmée dans sa contemplation.

Ce furent ses larmes qui, dans le silence qu’elle gardait, trahirent son émoi.

« Pourquoi pleures-tu ? »

Il fallait qu’elle répondît ; par un effort suprême elle tâcha de se rendre maîtresse de ses paroles, mais en les entendant elle sentit toute leur incohérence :

« C’est ce portrait… votre fils… vous son père… »