Page:Malot - En famille, 1893.djvu/466

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
460
EN FAMILLE.

Perrine eût voulu être seule, mais elle ne pouvait pas refuser et elle dut suivre la conversation de l’institutrice.

« Savez-vous à quoi je pensais en regardant M. Vulfran se lever, s’asseoir, s’agenouiller pendant l’office, si brisé, si accablé qu’il semblait toujours qu’il ne pourrait pas se redresser ? C’est que pour la première fois aujourd’hui, il a peut-être été bon pour lui d’être aveugle.

— Pourquoi ?

— Parce qu’il n’a pas vu combien l’église était peu remplie. C’eût été une douleur de plus que cette indifférence de ses ouvriers à son malheur.

— Ils n’étaient pas nombreux, cela est vrai.

— Au moins il ne l’a pas vu.

— Mais êtes-vous sûre qu’il ne s’en soit pas rendu compte par le silence vide de l’église en même temps que par le brouhaha des cabarets quand il a traversé les rues du village ; avec les oreilles il reconstitue bien des choses.

— Cela serait un chagrin de plus pour lui, dont il n’a pas besoin, le pauvre homme ; et cependant… »

Elle fit une pause pour retenir ce qu’elle allait dire ; mais comme elle n’avait pas l’habitude de jamais cacher ce qu’elle pensait, elle ajouta :

« Et cependant ce serait une leçon, une grande leçon, car voyez-vous, mon enfant, nous ne pouvons demander aux autres de s’associer à nos douleurs, que lorsque nous nous associons nous-mêmes à celles qu’ils éprouvent, ou à leur souffrance ; et on peut le dire, parce que c’est l’expression de la stricte vérité… »

Elle baissa la voix :