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EN FAMILLE.

« … Ce n’a jamais été le cas de M. Vulfran : homme juste avec les ouvriers, leur accordant ce qu’il leur croit dû, mais c’est tout ; et la seule justice, comme règle de ce monde, ce n’est pas assez : n’être que juste, c’est être injuste. Comme il est regrettable que M. Vulfran n’ait jamais eu l’idée qu’il pouvait être un père pour ses ouvriers ; mais entraîné, absorbé par ses grandes affaires, il n’a appliqué son esprit supérieur qu’aux seules affaires. Quel bien il eût pu faire cependant, non seulement ici même, ce qui serait déjà considérable, mais partout par l’exemple donné. Qu’il en eût été ainsi et vous pouvez être certaine que nous n’aurions pas vu aujourd’hui… ce que nous voyons. »

Cela pouvait être vrai, mais Perrine n’était pas en situation d’apprécier la morale de ces paroles, qui la blessaient par ce qu’elles disaient, autant que parce qu’elle les entendait de la bouche de Mlle  Belhomme, pour qui elle s’était vite prise d’une affection respectueuse. Qu’une autre eût exprimé ces idées, il lui semblait que cela l’eût laissée indifférente, mais elle souffrait de ce qu’elles étaient celles d’une femme en qui elle avait mis une grande confiance.

En arrivant devant les écoles elle se hâta donc de la quitter.

« Pourquoi n’entrez-vous pas, nous déjeunerions ensemble, dit Mlle  Belhomme qui avait deviné que son élève ne devait pas prendre place à la table de la famille.

— Je vous remercie : M. Vulfran peut avoir besoin de moi.

— Alors rentrez. »

Mais en arrivant au château elle vit que M. Vulfran n’avait pas besoin d’elle, et même qu’il ne pensait pas du tout à elle ; car Bastien qu’elle rencontra dans l’escalier lui dit qu’en