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EN FAMILLE.
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celle de maintenant, et à le regarder, l’oreille attentive, on pouvait voir sur sa physionomie mobile, que par les bruits de l’usine, il suivait son travail comme s’il le surveillait de ses yeux, dans chaque atelier ou chaque cour : le battement des métiers, les échappements de la vapeur, les ronflements des cannetières, les lamentables gémissements de la valseuse, le décrochage et l’accrochage des wagons, le roulement des wagonets, les coups de sifflet des locomotives, les commandements de manœuvres, même le sabotage des ouvriers quand ils traversaient d’un pas traîné un chemin pavé, rien ne se confondait pour lui, et de tout il se rendait un compte exact, qui lui permettait de savoir ce qui se faisait, et avec quelle activité ou quelle nonchalance cela se faisait.

Mais maintenant oreille, visage, physionomie, mouvements, tout paraissait pétrifié, momifié comme l’eût été une statue. Cela était si saisissant que Perrine, dans ce silence, se sentait envahie par une sorte de terreur qui l’anéantissait.

Tout à coup, il mit ses deux mains sur son visage, et d’une voix forte, avec la conscience d’être seul, ou plutôt sans conscience de l’endroit où il était et de ceux qui pouvaient l’entendre, il dit :

« Mon Dieu, mon Dieu, vous vous êtes retiré de moi. Qu’ai-je fait pour que vous m’abandonniez ? »

Puis le silence reprit plus écrasant, plus lugubre pour Perrine, que ce cri avait bouleversée, bien qu’elle ne pût pas mesurer toute l’étendue et la profondeur du désespoir qu’il accusait.

C’est qu’en effet, M. Vulfran, par la grande fortune qu’il avait faite et la situation qu’il occupait, en était arrivé à