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EN FAMILLE.

contre nous, murmura-t-il, sentant pour la première fois la force de ces masses qu’il commandait.

— Oui, mais ils sont avec nous parce que nous sommes avec eux.

— Et c’est à toi que cela est dû, petite-fille ; qu’il y a loin d’aujourd’hui au service célébré à la mémoire de ton père dans notre église vide.

— Voici l’ordre de la cérémonie qui a été adopté par le conseil : je te conduirai sur le perron à deux heures précises ; de là tu domineras la foule et tout le monde te verra ; un ouvrier de chacun des villages où sont les usines, montera sur le perron et, au nom de tous, le vieux père Gathoye t’adressera un petit discours. »

À ce moment deux heures sonnèrent à la pendule.

« Veux-tu me donner la main ? » dit-elle.

Ils arrivèrent sur le perron et une immense acclamation retentit ; alors comme cela avait été réglé les délégués montèrent sur le perron, et le père Gathoye qui était un vieux peigneur de chanvre s’avança seul à quelques pas de ses camarades pour débiter sa harangue qu’on lui avait fait répéter dix fois depuis le matin :

« Monsieur Vulfran, c’est pour vous féliciter que… c’est pour vous féliciter que… »

Mais il resta court en faisant de grands bras, et la foule qui voyait ses gestes éloquents crut qu’il débitait son discours.

Après quelques secondes d’efforts pendant lesquelles il s’arracha plusieurs poignées de cheveux gris, en tirant dessus comme s’il peignait son chanvre, il dit :