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EN FAMILLE.

avec une intensité si poignante, qu’elle se demandait, baignée de sueur, si elle aussi n’allait pas succomber dans une syncope. Un soir qu’elle se trouvait dans cet état d’appréhension et d’anéantissement, elle sentit que la main de sa mère, qu’elle tenait dans les siennes, la serrait.

« Tu veux quelque chose ? demanda-t-elle vivement, ramenée par cette pression dans la réalité.

— Te parler, car l’heure est venue des dernières et suprêmes paroles.

— Oh ! maman…

— Ne m’interromps pas, ma fille chérie, et tâche de contenir ton émotion comme je tâcherai de ne pas céder au désespoir. J’aurais voulu ne pas t’effrayer, et c’est pour cela que jusqu’à présent je me suis tue, pour ménager ta douleur, mais ce que j’ai à dire doit être dit, si cruel que cela soit pour nous deux. Je serais une mauvaise mère, faible et lâche, au moins je serais imprudente de reculer encore. »

Elle fit une pause, autant pour respirer que pour affermir ses idées vacillantes.

« Il faut nous séparer… »

Perrine eut un sanglot que malgré ses efforts elle ne put contenir.

« Oui, c’est affreux, chère enfant, et pourtant j’en suis à me demander si après tout il ne vaut pas mieux pour toi que tu sois orpheline, que d’être présentée par une mère qu’on repousserait. Enfin Dieu le veut, tu vas rester seule,… dans quelques heures, demain peut-être. »

L’émotion lui coupa la parole, et elle ne put la reprendre qu’après un certain temps.