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EN FAMILLE.

à cette allure ; déjà elle éprouvait une lassitude qu’elle ne connaissait pas, et malgré le refroidissement du matin il lui montait à la tête des bouffées de chaleur qui la rendaient vacillante.

Mais ni le ralentissement de sa marche, ni la fraîcheur de plus en plus vive, ni la rosée qui la mouillait ne calmèrent ces troubles, pas plus qu’ils ne lui donnèrent de la vigueur, et il fallut qu’elle reconnût que c’était la faim qui l’affaiblissait en attendant qu’elle l’abattît tout à fait défaillante.

Que deviendrait-elle si elle n’avait plus ni sentiment ni volonté ?

Pour que cela n’arrivât pas, elle crut que le mieux était de s’arrêter un instant ; et comme elle passait en ce moment devant une luzerne nouvellement fauchée, dont la moisson mise en petites meules, faisait des tas noirs sur la terre rase, elle franchit le fossé de la route, et se creusant un abri dans une de ces meules, elle s’y coucha enveloppée d’une douce chaleur parfumée de l’odeur du foin. La campagne déserte, sans mouvement, sans bruit, dormait encore, et sous la lumière qui jaillissait de l’orient elle paraissait immense. Le repos, la chaleur, et aussi le parfum de ces herbes séchées calmèrent ses nausées et elle ne tarda pas à s’endormir.

Quand elle s’éveilla le soleil déjà haut à l’horizon couvrait la campagne de ses chauds rayons, et dans la plaine des hommes, des femmes, des chevaux travaillaient çà et là ; près d’elle une escouade d’ouvriers échardonnaient un champ d’avoine ; ce voisinage l’inquiéta tout d’abord un peu, mais à la façon dont ils faisaient leur ouvrage, elle comprit, ou qu’ils